La santé, pilier de la stabilisation et de la résilience des populations syriennes

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Syrie
Après dix années de conflit, les habitants de la Syrie peinent aujourd’hui à accéder à des services essentiels tels que les soins de santé, pourtant indispensables à la satisfaction de leurs besoins les plus élémentaires. En marge de la cinquième conférence de Bruxelles sur l’aide à apporter pour l’avenir de la Syrie et des pays de la région, qui s’est tenue les 29 et 30 mars 2021, Expertise France a organisé un débat sur le rétablissement des services essentiels en tant que pilier de la stabilisation de la région, en prenant l’exemple du secteur de la santé dans le nord-est du pays.

« Tout au long des dix dernières années, les agents de santé ont joué un rôle essentiel sur le terrain pour contribuer à soulager les souffrances du peuple syrien. Leur engagement leur a coûté le prix fort et ils continuent de courir des risques à chaque minute », a déclaré Eric Chevallier, directeur du Centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

Depuis 2011, le système de soins de la Syrie a subi une destruction massive. Les dernières données recueillies par l’OMS en 2019 et une récente étude de l’International Rescue Committee (IRC) soulignent qu'un peu plus de la moitié des hôpitaux et des centres de santé primaire de la Syrie sont aujourd’hui opérationnels. Ces sources indiquent également que les deux tiers des personnels de santé ont fui le pays et que parmi la population civile, une personne sur deux craint de se rendre dans un établissement de soins, par crainte d’attentats.

Le secteur de la santé aux prises avec des blessures structurelles

Le secteur de la santé dans le nord-est de la Syrie est également marqué par des blessures plus profondes et structurelles, telles que le manque d’infrastructures, la faible qualité des services médicaux, la défaillance des systèmes d’information sanitaire, ainsi que le manque de personnel qualifié. Le docteur Abdulkarim Ekzayez, épidémiologiste syrien et associé de recherche principal au King’s College de Londres, révèle que « des six régions de l’Administration autonome du Nord et de l'Est de la Syrie, aucune ne dispose de plus de deux médecins et infirmiers pour 1000 habitants ».

« Le personnel médical a vu ses effectifs chuter de 75 % depuis le début de la guerre. De plus, l’accès aux infrastructures et l’approvisionnement en médicaments et en équipement médical sont devenues difficiles depuis la fermeture du point de passage d’Al-Yarubiya », relate le Dr Kassar Alali, directeur de l’hôpital national de Raqqa, évoquant le manque criant de ressources et l’intenable tension à laquelle sont soumises les infrastructures médicales

La formation au cœur du renforcement du système de soins

« La durabilité du secteur de la santé ne peut être assurée sans un renforcement des ressources humaines », ajoute le Dr Alali. Cet immense besoin de renforcement des capacités est confirmé par le Dr Nynke van den Broek, qui met en avant l’exemple des sages-femmes et autres personnels d’aide à l’accouchement dans le domaine des soins obstétricaux. « Les services obstétricaux doivent être en capacité d’accueillir des patientes 24h sur 24, quel que soit l’endroit, ce qui est particulièrement difficile », alerte ainsi le Dr Nynke, experte en santé reproductive et en santé de la mère, du nouveau-né et de l’enfant pour Expertise France. « La majorité des infrastructures de santé [dans le Nord et l’Est de la Syrie] ne sont pas en capacité de fournir l’intégralité du paquet de soins essentiels », précise-t-elle. Pour atteindre davantage de femmes et améliorer la qualité des soins obstétricaux, elle suggère d'étudier les pistes de collaboration pouvant être mises en place avec les accoucheuses traditionnelles.
 

Télécharger l'étude sur la disponibilité, la qualité et l'accessibilité des services de santé reproductive, maternelle et néonatale à Raqqa et Deir ez-Zor réalisée dans le cadre du projet HERNES (en anglais)

 

Travailler avec les agents de santé communautaire, qui représentent un tiers de l’ensemble du personnel de santé dans le nord-est de la Syrie, est également considéré comme un enjeu critique. « Les agents de santé communautaire sont au cœur des interventions sur le terrain : prise en charge de l'anémie chez les femmes enceintes, traitement de la diarrhée chez les enfants, campagnes de vaccination, campagnes de promotion de l'hygiène... Ces interventions menées au niveau des communautés sont très importantes, car elles permettent de réduire l’affluence dans les infrastructures de santé et d’éviter aux bénéficiaires de devoir parcourir de longues distances pour accéder aux soins », explique le Dr Neha Singh, coordinatrice du groupe de travail sur la santé dans le nord-est de la Syrie.

Plus généralement, la société civile a elle aussi un rôle clé à jouer dans l'avenir de la région. « Le renforcement de la société civile revêt une importance particulière dans notre stratégie de stabilisation, car il garantit un impact durable sur le système de santé », déclare Eric Chevallier. « Renforcer les organisations de la société civile permet d’augmenter le nombre d'acteurs locaux en capacité de recevoir un soutien international, mais aussi de favoriser la coordination et les partenariats entre les organisations locales et internationales. »

La coordination comme outil clé

De manière générale, la réponse à ces enjeux protéiformes nécessite l’implication de multiples acteurs : les prestataires de services de santé (qu'il s'agisse d'ONG nationales ou internationales), les instances locales de gouvernance (lorsqu'elles sont légitimes), les établissements d'enseignement, les experts techniques et les chercheurs, afin d’avoir accès à des informations fiables. « Les acteurs de l'humanitaire et de la stabilisation doivent travailler main dans la main pour assurer la prestation de services, mais aussi pour contribuer au renforcement du secteur dans son ensemble », a déclaré Jérémie Pellet, directeur général d'Expertise France.

C'est là toute la raison d’être du Forum NES, l'organe de coordination de la réponse multisectorielle dans le nord-est de la Syrie. « Le groupe de travail sur la santé du Forum NES réunit 16 partenaires humanitaires, qui travaillent en lien avec les Nations unies ainsi qu’avec de multiples donateurs et acteurs de la stabilisation », explique le Dr Neha Singh, qui insiste également sur la nécessité de collaborer avec les autorités locales afin de parvenir à un renforcement systémique durable, facteur essentiel de stabilisation. 

Activement impliqué dans les efforts de stabilisation de la région, Expertise France est un acteur engagé de cette approche coordonnée. Depuis 2013, l’agence française de coopération internationale a mis en œuvre trois projets de santé majeurs avec le soutien de donateurs internationaux tels que l’Union européenne, le gouvernement français ou encore la JICA (l’agence japonaise de coopération internationale), et travaille main dans la main avec de nombreux partenaires syriens. « Les résultats sont là : les projets mis en œuvre par Expertise France ont permis la réalisation de plus de 4 millions de consultations, ainsi que la fourniture d’une assistance technique en matière de contrôles pharmaceutiques et de gestion des déchets, entre autres », affirme Jérémie Pellet. « Expertise France entend continuer de remplir son rôle dans cet effort commun de stabilisation, ce que nous n’aurions pas pu faire sans l’appui des donateurs et des partenaires qui nous ont déjà accompagnés par le passé », ajoute-t-il.
 

Regardez la playlist sur le projet HERNES sur YouTube

Des résultats encourageants, mais encore insuffisants

« [Malgré] les efforts colossaux déployés au cours des sept dernières années aux fins de la réhabilitation du système de santé du nord-est de la Syrie, la plupart des hôpitaux ne sont que partiellement opérationnels », affirme le Dr Neha Singh. De son côté, le Dr Ekzayez souligne qu’au bout de dix ans de conflit, la priorité ne concerne plus la prise en charge des traumatismes, mais les interventions publiques et le renforcement des systèmes de santé, au-delà de l’accès aux services. « Durant la phase active d’un conflit, la priorité est généralement de sauver des vies et d’agir vite. Mais au fur et à mesure, d’autres aspects entrent en considération, tels que l’exhaustivité des interventions, la protection sociale et financière, ou encore la sécurité », explique-t-il.

 

Télécharger la présentation du Dr. Abdulkarim Ekzayez sur les systèmes de santé dans le nord-est de la Syrie (en anglais)

 

Les acteurs internationaux doivent donc continuer d’investir dans la construction d'un secteur de la santé opérationnel pour la Syrie de demain : entretien des infrastructures, formation du personnel, élaboration de normes médicales et d'hygiène et soutien aux acteurs de la société civile, qui seront amenés à contribuer à la redéfinition des politiques de santé publique syriennes. Il s'agit d'un impératif non seulement humanitaire, mais aussi politique : « Nous pensons que l'amélioration des soins de santé dans l’ensemble de la région, au moyen d’interventions ambitieuses et réfléchies, est l’un des piliers de la stabilisation », a expliqué Eric Chevallier du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. « Les interventions financées par la France, telles que la réhabilitation rapide de l'hôpital de Raqqa, sont au cœur de nos objectifs de stabilisation. Nous voulons montrer aux populations que la vie peut se reconstruire après Daech ».

 

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