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Dr Eladio Pérez : priorités face à la résistance antimicrobienne en République dominicaine
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Dans le cadre de la mise en œuvre du projet financé par l’Union européenne via la Caribbean Investment Facility (CIF) et mis en œuvre par Expertise France, la République dominicaine renforce sa stratégie nationale contre la résistance antimicrobienne. À l’occasion de la campagne lancée pour la Semaine mondiale du bon usage des antimicrobiens, le vice-ministre de la Santé collective, Dr Eladio Pérez, revient sur les priorités du pays, les risques identifiés et les appuis techniques qui structurent cette réponse.
Dans cet entretien, le vice-ministre de la Santé Eladio Pérez détaille la stratégie dominicaine contre la résistance antimicrobienne, entre surveillance renforcée, One Health et usage responsable des antibiotiques.
Pourquoi la résistance aux antimicrobiens est-elle aujourd’hui une priorité stratégique pour le ministère de la Santé ?
Parce qu’elle met en danger des acquis fondamentaux de la médecine moderne et la sécurité sanitaire du pays. La résistance aux antimicrobiens compromet la capacité à traiter des infections courantes, augmente les risques liés aux chirurgies, aux accouchements, aux transplantations, au traitement du cancer et aux soins intensifs. Une infection auparavant simple peut devenir prolongée, coûteuse ou mortelle si les antibiotiques cessent d’être efficaces.
Plusieurs facteurs expliquent l’urgence dominicaine : une automédication encore très répandue, des prescriptions parfois éloignées des recommandations cliniques, des circuits de distribution qui facilitent l’accès à des antimicrobiens sans contrôle strict, et un usage vétérinaire qui, dans certains cas, inclut encore des antimicrobiens comme promoteurs de croissance. À cela s’ajoutent les risques de transmission par les aliments, l’environnement et les contacts directs.
Ce n’est pas que les bactéries “pensent”, mais elles évoluent vite : elles s’adaptent, mutent, deviennent résistantes lorsque nous utilisons mal les antibiotiques. Si nous n’agissons pas, elles continueront de gagner du terrain. Notre rôle est de reprendre l’avantage. Le Plan national RAM, l’approche Une seule santé, l’amélioration de la surveillance et cette campagne visent précisément à inverser cette tendance et à préserver l’efficacité des antimicrobiens pour les générations futures.
Quel est le message central de la campagne nationale lancée pour la Semaine mondiale de sensibilisation à la RAM ?
Le message est simple : les antibiotiques sauvent des vies lorsqu’ils sont utilisés correctement, mais les mettent en danger lorsqu’ils le sont mal.
Trois idées essentielles structurent la campagne :
- un antibiotique n’est pas un traitement pour la fièvre ou la grippe ;
- on ne l’utilise jamais sans indication professionnelle, ni sur conseil d’un proche ;
- la responsabilité est collective : citoyens, professionnels de santé, vétérinaires, pharmaciens, producteurs et autorités.
Chaque fois qu’un antibiotique est utilisé sans nécessité, nous donnons aux bactéries une occasion de devenir plus résistantes. En utilisant ces médicaments uniquement quand ils sont réellement indiqués, en santé humaine comme en santé animale, nous empêchons les bactéries de prendre l’avantage.
Comment cette initiative a-t-elle été élaborée, et quel rôle ont joué Expertise France et l’AFD ?
Cette initiative est le résultat d’un travail conjoint entre Expertise France et l’Agence française de développement (AFD), avec le financement de l’Union européenne, pour renforcer la réponse nationale face à la RAM.
En 2022, Expertise France et la Fondation Mérieux ont mené une évaluation initiale du projet, en s’appuyant sur les recommandations de l’Évaluation externe conjointe (EEC) de 2019. Deux priorités avaient été identifiées :
- structurer et mettre en œuvre un Plan national RAM sous une approche Une seule santé, coordonnant les secteurs humain, animal et environnemental ;
- renforcer l’application de la législation nationale et des normes internationales sur l’usage responsable des antimicrobiens, via des actions conjointes entre secteurs.
Sur cette base, nous avons construit une démarche cohérente associant laboratoires, surveillance, formation, réglementation et communication. Le renforcement du système de laboratoires a été essentiel : de meilleures capacités analytiques signifient des données plus fiables et une détection plus rapide des résistances. C’est également l’une des premières applications concrètes du Règlement sanitaire international en matière de RAM dans le pays.
En quoi cette campagne contribue-t-elle à l’approche One Health ?
La campagne RAM s’inscrit pleinement dans l’approche One Health parce qu’elle agit simultanément sur les trois fronts où naît la résistance : le soin humain, la santé animale et l’environnement. Elle vise à réduire les prescriptions inutiles, à décourager l’automédication et à promouvoir l’usage raisonné des antibiotiques dans les élevages, en cohérence avec les bonnes pratiques vétérinaires. Elle rappelle également l’importance de gérer correctement les déchets de soins et les effluents, afin de limiter la dissémination de bactéries résistantes dans les écosystèmes.
Surtout, elle crée un langage commun entre des acteurs qui se croisent rarement : médecins, pharmaciens, vétérinaires, éleveurs, laboratoires, autorités sanitaires. En harmonisant les repères et les comportements, la campagne contribue à casser le cycle de la résistance et envoie un signal politique clair : le pays ne veut plus subir la progression de la RAM et assume une mobilisation transversale pour inverser la trajectoire.
Au-delà de la campagne, quels appuis concrets ont été apportés par Expertise France dans la lutte contre la RAM ?
La campagne n’est que la partie visible. L’appui technique a été déterminant pour renforcer le système dans son ensemble. Parmi les principaux résultats :
- la révision et la consolidation du Plan national RAM, qui fixe désormais une feuille de route claire ;
- des formations spécialisées, notamment en investigation de foyers et détection précoce des résistances ;
- une évaluation de l’usage des antibiotiques dans le Service national de santé, complétée par une analyse de la consommation dans les secteurs agricoles et environnementaux ;
- plusieurs études techniques structurantes : cadre légal, circuits de distribution, recommandations pour un usage plus rationnel ;
- une avancée majeure vers une surveillance intégrée, reliant données humaines, animales et environnementales ;
- une première cohorte formée en épidémiologie de terrain One Health, avec l’appui de partenaires internationaux.
L’approche est holistique, fidèle au principe One Health : renforcer l’ensemble de la chaîne, du laboratoire à la politique publique, du vétérinaire au clinicien. Elle permet de renforcer la capacité du pays à prévenir et contrôler la RAM, et à protéger l’efficacité des traitements pour les années à venir.