« Dès que je commets une erreur on me le fait remarquer, mais, avec le temps, j’ai appris à gagner leur respect. »

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Syrie
L’agenda « Femmes, Paix et Sécurité » des Nations Unies est mis en œuvre par la France dans le cadre d’un Plan national d’action, qui couvre la période 2021-2025. Cet agenda est également décliné au niveau européen. Sur fonds français et européens, Expertise France met en œuvre plusieurs projets répondant à cet enjeu de prise en compte systématique des enjeux de genre en matière de paix & sécurité. À l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, Expertise France donne la parole à Mme Nynke Vandenbroek, experte mobilisée dans cadre du programme européen HERNES qui vise à contribuer au relèvement socioéconomique du nord-est de la Syrie en améliorant l'accès des populations aux services de santé.

 

Pionnière audacieuse et stimulante en matière de soins de santé pour les femmes, Nynke mène depuis plus de 30 ans une carrière variée dans la direction de l'élaboration et de la mise en œuvre de programmes novateurs de grande envergure, complexes et transnationaux visant à améliorer l'accès aux soins de santé, leur disponibilité et leur qualité. 

Nynke est une gynécologue-obstétricienne formée à la médecine tropicale et possède une expertise internationale reconnue en matière de santé mondiale et de développement.   

Depuis septembre 2020, elle est conseillère du Fonds pour la santé reproductive, maternelle, néonatale et infantile pour Expertise France.

Comment le programme HERNES permet-il d’améliorer la santé materno-infantile et comment les femmes en bénéficient-elles ?

Il est très difficile de vivre dans le nord-est de la Syrie : la région souffre depuis si longtemps du conflit, c’est une mosaïque de populations. La plupart des femmes vivent dans leur communauté, certaines vivent dans les camps, mais partout leurs conditions de vie sont très dures. De nombreux hommes travaillent loin de chez eux, les femmes restent longtemps seules avec leurs enfants. Elles peuvent s’appuyer ou pas sur les services selon l’endroit où elles vivent, leur religion, leur clan, différemment selon qu’elles sont kurdes ou arabes. Dans le nord-est, certaines femmes ont les mêmes libertés qu’en occident, d’autres sont dépendantes de leur schéma familial, culturel ou religieux, qui leur donne moins de marges de manœuvre.

Les femmes rencontrent de nombreux problèmes de santé. Deux raisons principales à cela : d’abord il y a une surmédicalisation de l’accouchement. Par exemple, beaucoup de femmes subissent une césarienne, techniquement je pense qu’il s’agit d’une surmédicalisation. Ensuite, elles ne reçoivent pas suffisamment de soins médicaux. La plupart de leurs problématiques spécifiques, comme les douleurs des règles ou les saignements irréguliers, sont prises en charge par des sage-femmes parce que les femmes préfèrent être soignées par d’autres femmes. Si vous êtes un médecin male, vous n’apprenez rien ou si peu sur la santé des femme : c’est presque une discrimination, les hommes n’ont pas la possibilité d’apprendre à traiter les problématiques des femmes, à moins d’être gynécologue-obstétricien.

Mon rôle est de former le personnel soignant, de m’assurer que les sage-femmes- majoritairement des femmes-et que les gynécologues obstétriciens- pour moitié des femmes mais bien moins nombreux que les sage-femmes- renforcent leurs pratiques médicales. Il est important de responsabiliser les sage-femmes. Si on propose aux patientes une meilleure prise en charge lors de l’accouchement, on peut considérablement réduire le nombre de césariennes. Mais ça n’est pas encore possible, parce que l’environnement des salles d’accouchement est trop négligé. Le système de santé n’est toujours pas en capacité de prendre en charge des accouchements par voie vaginale, l’un des objectifs du programme HERNES est d’améliorer cela.

Lorsque nous sommes en formation, il y a beaucoup de communication et de respect entre nous. Avec le personnel soignant féminin, nous sommes immédiatement en confiance. Peut-être parce que la plupart d’entre nous avons des enfants et que nous partageons les problématiques ces patientes. Peut-être que la santé est un sujet qui permet de soutenir les femmes avec une certaine neutralité.

La violence basée sur le genre est un sujet particulièrement complexe à aborder : nous profitons des formations plus générales sur la santé sexuelle et reproductive pour échanger autour de la façon de référer les violences basées sur le genre. La majorité de ces violences sont vécues dans le cercle intime. Nous avons au moins pu mettre en place un outil permettant de les accompagner lors du suivi anténatal, sur la base des protocoles de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Les femmes peuvent être diagnostiquées durant leur grossesse dès lors qu’un soutien psychosocial est mis en place. Nous pouvons les interroger sur leur situation conjugale et familiale, leur demander si elles ont subi des abus physiques ou verbaux et nous intéresser aussi à leur santé mentale. Le ministère des Femmes et les partenaires essaient aussi de mettre en place des structures d’hébergement pour les protéger et proposent différentes activités de sensibilisation au sein des communautés.

 
 

Quelles sont les principales améliorations que vous identifiez depuis le démarrage du programme HERNES il y a cinq ans ?

Il y a au moins trois domaines où notre programme fait la différence. D’abord, nous faisons attention à prendre en charge toutes les composantes de la santé materno-infantile en équipe, médecins et sage-femmes : ensemble, nous cherchons des solutions pour améliorer le panel et la qualité de l’offre de services. Le personnel soignant ne reçoit que rarement du soutien, il est souvent confronté aux critiques. Certains pensent que la qualité des soins peut être améliorée en envoyant des évaluateurs externes s’asseoir aux côtés des médecins ou des sage-femmes, les observer et leur dire ce qui ne va pas. Nous devons changer cette approche : nous pratiquons en équipe pluridisciplinaire, nous nous auto-évaluons et nous apprenons ensemble à améliorer nos pratiques.

En second lieu, nous proposons une coordination au sein de cet environnement très chaotique. Lorsque j’ai commencé à travailler en Syrie, il y a cinq ans, j’ai d’abord fait un état des lieux des structures de santé et des services proposés aux femmes. C’était très compliqué d’avoir accès à ces informations, la plupart des gens travaillaient de façon très isolée. Maintenant, Expertise France travaille en lien avec les partenaires humanitaires et de développement. Grâce à HERNES, nous essayons de ne plus travailler en silos et nous faisons en sorte de mieux prendre en charge collectivement la santé des femmes.

Enfin, nous avons amélioré le traitement des données. Jusque-là, elles ne servaient presque exclusivement qu’au management, elles n’étaient quasiment jamais utilisées dans les services de soins, elles faisaient peur. Nous avons essayé de changer cela : nous avons travaillé dans 10 structures de santé pilotes en essayant de comprendre à quoi elles servaient. Comment de fois par jour votre table d’accouchement peut-elle servir ? Est-ce que vous avez bien tous les équipements dont vous avez besoin ? Les soignants collectent aujourd’hui leurs propres données et ils décident de la façon de s’en servir pour adapter leurs pratiques.

En tant que femme, avez-vous été confrontée à des difficultés particulières sur le terrain ou, au contraire, cela vous a-t-il facilité les choses ?

J’ai commencé à travailler sur le projet en 2019, je suis la seule personne à être présente depuis le démarrage. La plupart du temps, je travaille depuis le Royaume-Uni ou depuis notre bureau à Erbil et, quand j’y suis autorisée, je me rends en Syrie. J’aime travailler sur le terrain, j’y comprends bien mieux les problématiques. C’est un peu angoissant, je n’ai pas d’expérience humanitaire, l’environnement y est particulièrement intense. J’ai conscience d’être une femme étrangère dans un contexte qui ne m’est pas familier,  je suis une cible possible pour des kidnappeurs. Je sais tout ça mais, quand je commence à travailler, j’oublie.

C’est la première fois que je travaille au Moyen-Orient. C’est certainement un avantage d’être un peu âgée…Il a fallu du temps pour que les hommes respectent mon discours, je coirs qu’ils ont plus l’habitude de travailler avec des hommes séniors qu’avec des femmes séniors. Dès que je commets une erreur on me le fait remarquer. Mais, avec le temps, j’ai appris à gagner leur respect.

J’ai conscience aussi que, pour les sage-femmes et les femmes gynécologues obstétriciennes, je joue un peu le rôle de modèle : ce n’est pas ce que je veux forcément mais elles se disent « c’est l’une des nôtres et, dans son travail, c’est la cheffe ». 

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