Transition juste : développer la filière du cacao en Côte d’Ivoire en assurant la protection sociale des travailleurs

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Cote d'Ivoire
La Côte d’Ivoire est le premier producteur de cacao au monde. Une transition vers une production durable nécessite également une couverture sociale adaptée aux spécificités du secteur. Expertise France a réalisé une étude visant à renforcer les mécanismes de couverture sociale des travailleurs et exploitants de cette filière.

La Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial du cacao et représente 40% du marché. La filière du cacao compte plus d’1 million d’emplois directs et 5 millions d’emplois indirects, ce qui en fait de loin la première filière agricole du pays devant l’anacarde, le café, l’hévéa et le palmier à huile. La région de Nawa, accueille plus de 70 000 exploitants de la filière du cacao.

A l’occasion du projet d’appui dans le cadre de la Réponse Sanitaire et Sociale à l’épidémie de Covid-19 en République de Côte d’Ivoire financé par l’Union Européenne, Expertise France a produit un diagnostic de la couverture sociale des travailleurs de la filière du cacao de la région de Nawa dans le Bas-Sassandra.

Ce diagnostic met en lumière les caractéristiques socio-économiques des exploitants ainsi que les risques auxquels ces populations sont confrontées. Il compare les dispositifs de protection sociale existants en Côte d’Ivoire avec les risques encourus par la population et la réalité socio-économique du terrain. Les dispositifs de protection sociale en Côte d’Ivoire sont principalement la CMU - Couverture Maladie Universelle et le RSTI - Régime Social des Travailleurs Indépendants (régimes sociaux contributifs), le pays possède également des dispositifs de protection sociale non contributifs à destination des populations les plus précaires comme le programme Filets Sociaux Productifs. Enfin, le rapport identifie les défauts du système et émet certaines recommandations pour améliorer la couverture sociale des travailleurs du cacao.

Le diagnostic a mis en avant des problématiques variées : migrations, éducation, inégalités de genre…

La population des exploitants du cacao fait face à plusieurs problématiques aggravant leur vulnérabilité aux risques sociaux et environnementaux et freinant le développement durable de la filière.

Les exploitants du cacao sont majoritairement âgés de 35 à 60 ans. Un chef d’exploitation sur quatre a plus de 60 ans, ce qui témoigne de la problématique du renouvellement générationnel. Le niveau d’éducation des exploitants agricoles est relativement faible, près de la moitié d’entre eux n’ayant pas fréquenté l’école et un quart seulement possédant un niveau primaire.

 

L’étude a aussi mis en évidence une population à forte composante migratoire. Seulement un quart des exploitants sont originaires de la région de Nawa, le reste des exploitants sont des migrants internes à la Côte d’Ivoire ou des migrants internationaux. Plus de 50% des exploitants ne possèdent pas de pièces d’identification (extrait d’acte de naissance, pièce d’identité) ce qui rend leur intégration à la couverture sociale impossible. Enfin, les hommes constituent l’essentiel de l’effectif des chefs d’exploitations agricoles et les femmes cheffes d’exploitation sont minoritaires. Les hommes possèdent, en moyenne, de plus grandes superficies agricoles cultivées que les femmes.

 

Les agriculteurs interrogés ont une réelle conscience du risque environnemental qui est perçu comme la première menace pour leur exploitation. La sécheresse, l’appauvrissement de la terre, l’irrégularité des pluies et les maladies parasitaires (maladie du Swollen shoot) sont les principaux risques et chocs auxquels ils doivent faire face. Les autres risques économiques et sociaux comme l’insécurité alimentaire et l’inflation sont aussi liés directement ou indirectement aux risques environnementaux.

 

Les exploitants agricoles se trouvent dans une situation paradoxale et inconfortable du fait qu’ils ne possèdent pas les ressources financières suffisantes pour bénéficier des dispositifs contributifs de la protection sociale (CMU, RSTI) mais qu’ils ne sont, a contrario, pas suffisamment pauvres pour bénéficier du pilier non contributif qui cible spécifiquement les ménages les plus pauvres.

En plus de la difficulté d’intégrer les personnes à la couverture sociale à cause du manque de documents d’identification de la population, les dispositifs de protection sociale souffrent également d’un manque de visibilité auprès de la population.

 

LAGO Zokouda Simone, productrice à Bagoliéoua/Grand-Zattry : « La maladie du Swollen Shoot a complètement dévasté mon champ. Malheureusement, nous n’avons reçu aucune aide ni des structures d’encadrement (coopérative et ANADER), ni de l’Etat. Nous sommes laissés à nous-même. Cette maladie nous a réduit à néant et l’ensemble de la plantation nécessite d’être relancé ».

 

Djédjo Phirmin, jeune producteur de cacao à Guiré : « Mon frère aîné a fait la répartition des terres de notre père après son décès. C’est à moi qu’il a donné le champ de cacao (1ha) de notre père. Ce champ ne produit pratiquement plus parce que la terre est fatiguée. Je ne peux donc pas espérer grand-chose de cette parcelle. Pour ne pas mourir de faim, j’ai décidé de faire aussi le travail d’Aboussan pour d’autres producteurs plus âgés et occupant des terres plus riches ».

Des recommandations pour renforcer la protection des travailleurs de la filière

Au-delà du diagnostic, l’étude a permis d’élaborer plusieurs recommandations. Elle préconise d’accompagner le déploiement de la Couverture Maladie Universelle (CMU) au niveau des exploitants et des travailleurs du cacao, notamment en augmentant le nombre de localités couvertes par les campagnes de sensibilisation et d’enrôlement, en accompagnant les populations vulnérables ne disposant pas d’actes d’état-civil et en communiquant davantage sur les conditions d’accès aux services de santé. Selon ce diagnostic, il faut également étendre et appuyer les réseaux des structures d’encadrement du travail agricole (les coopératives agricoles et l’ANADER - Agence Nationale d’Appui au Développement Rural).

 

L’étude suggère en outre de soutenir la promotion du Régime Social des Travailleurs Indépendants (RSTI) au moyen de campagnes de communication sur le dispositif mais aussi en simplifiant la délivrance des attestations médicales en cas d’accidents du travail et en instaurant un prélèvement à la source en coopération avec les coopératives agricoles. Le diagnostic suggère également une décentralisation des services de la Caisse Nationale de la Prévoyance Sociale (CNPS) afin qu’ils soient plus proches des habitants de la région de Nawa (actuellement les agences sont à plus de 100 km de la région des travailleurs).

 

Les deux dispositifs de protection sociale contributifs de la Couverture Maladie Universelle et du Régime Social des Travailleurs Indépendants doivent mettre l’accent sur l’inclusion des jeunes, des femmes et des travailleurs migrants qui sont les populations les plus vulnérables de la filière du cacao.

 

Enfin, la protection sociale en Côte d’Ivoire a besoin de dispositifs plus adaptés aux spécificités de la culture du cacao et aux risques environnementaux. La culture du cacao ne permet en effet que 2 à 3 ventes par an ce qui n’assure pas un revenu mensuel aux ménages, condition sine qua none à un système de protection sociale à cotisation mensuelle. Pour faire avancer la question, les acteurs nationaux de la protection sociale dont les trois ministères bénéficiaires du projet - le ministère de l’Emploi et de la Protection Sociale (MEPS), le ministère de la Solidarité et de la Lutte contre la Pauvreté (MSLP) et le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant (MFFE) - envisagent différentes stratégies : diversification culturale, mise en place d’un mécanisme d’assurance environnementale, etc.

 

Les données collectées sur les exploitants agricoles de la filière du cacao à Nawá sont précieuses et les préconisations du rapport peuvent être étendues à l’ensemble du territoire de la Côte d’Ivoire ainsi qu’à d’autres filières agricoles. Le cacao fait vivre plus de 6 millions de personnes en Côte d’Ivoire, il représente 10-15% de son PIB et 40% de ses recettes d’exportation. Il est important d’accompagner le marché mondial du cacao vers un modèle durable.

 

La filière du cacao en Côte d’Ivoire s’inscrit au sein d’axes de travail transverses entre écologie et protection des travailleurs. Une évolution vers une filière plus durable ne pourra pas se faire sans une protection sociale adaptée aux travailleurs et exploitants. Expertise France souhaite rester mobilisée et continuer à accompagner les institutions bénéficiaires sur des projets cacao durable incluant des thématiques comme le genre, l’inclusion, l’écologie et la protection des travailleurs.

 

Expertise France a organisé à l’issue du projet un atelier afin d’en présenter les avancées aux parties prenantes.

Les acteurs nationaux de la protection sociale, dont les trois ministères bénéficiaires du projet, ont pu travailler ensemble sur les recommandations formulées dans le diagnostic. Les parties prenantes ont réfléchi à l’élaboration de campagnes de sensibilisation pour étendre les dispositifs de protection sociale.

Cet atelier a finalement permis de renforcer la coopération interministérielle sur ce sujet ainsi que la conception et la mise en œuvre des solutions concrètes citées plus haut en faveur de la couverture sociale des exploitants cacaoyers.

 

 

Crédits photo : Pixabay et Open street map

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