L’adaptation de l’agriculture ouest africaine en débat à la COP27

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Afrique subsaharienne
La COP27 qui s’est tenue en novembre à Sharm El Sheikh restera désormais dans les annales pour l’accord trouvé en faveur du financement des pertes et préjudices subis par les pays les plus vulnérables aux changements climatiques. Aussi, les questions agricoles et alimentaires ont pris de l’ampleur dans les négociations et devraient capter plus de finance climat au cours des années à venir. Une bonne nouvelle pour développer les engagements de la CEDEAO et de ses Etats membres en faveur de l’adaptation de l’agriculture ouest africaine ? Premiers éléments de réponse avec les cinq évènements parallèles qui ont débattu des conditions de succès de l’adaptation aux changements climatiques dans la sous-région.

Sur le pavillon ouest-africain de la COP, plusieurs évènements parallèles mettaient en effet à l’honneur les résultats de 15 projets pilotes d’agriculture intelligente face au climat et d’agroécologie soutenus de 2020 à 2022 par GCCA+ Afrique de l’Ouest (GCCA+ AO) – un projet régional de mise en œuvre de l’Accord de Paris financé par l’Union européenne et mis en œuvre par Expertise France sous le portage politique de la CEDEAO et en partenariat avec le CILSS. Ces projets pilotes ont principalement visé à contribuer à l’adaptation de l’agriculture ouest africaine aux changements climatiques. Subissant des phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes de plus en plus fréquents et pesant sur la capacité de certaines communautés à produire et à se nourrir, l’agriculture génère par ailleurs certains impacts négatifs soulignant tout autant l'importance de sa transition vers l’agriculture intelligente face au climat (AIC) et l’agroécologie (AE).

A quelles conditions ces initiatives locales peuvent-elles désormais se multiplier à plus grande échelle ? Les panélistes internationaux invités par la CEDEAO et Expertise France à en discuter ont abordé la question sous plusieurs angles complémentaires : le renforcement de capacités, l’accès aux services et données climatiques, la gestion de la ressource en eau, le risque de maladaptation aux changements climatiques, les financements et la mise à échelle nationale et régionale.

Priorité au renforcement de capacités locales et à la valorisation des connaissances paysannes

En Sierra Leone par exemple, le projet pilote porté par Action contre la faim (ACF) a permis de démontrer que la culture intercalaire du manioc avec les arachides est une pratique de gestion durable des terres qui a le potentiel d’améliorer la productivité des terres et le carbone organique du sol. Pour Marie Cosquer, analyste à ACF, la valorisation des connaissances paysannes et le renforcement de capacité des acteurs locaux – “principaux concernés” - a été clé pour obtenir des effets multiplicateurs. “Le débat et les financements ne doivent pas être monopolisés par le secteur privé et les solutions technologiques. C’est une question plus profonde, de justice climatique et de droits humains”.

Giuliana Sardo, venue représenter l’association COSPE qui a pu former des femmes au coopérativisme agricole au Cap vert, recommande tout particulièrement les approches participatives de recherche-action pour assurer la durabilité des pratiques d’agriculture intelligente face au climat.

Fournir de la donnée météorologique et climatique au plus proche du champ

Partenaire technique du projet GCCA+ AO, le Comité Permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS) équipe des villages et observateurs de smartphones pour collecter la donnée météo et prendre des décisions tactiques d’adaptation de l’agriculture aux changements climatiques, comme le choix de la bonne date de semis.

“C’est tout particulièrement crucial dans les régions africaines où les données manquent dès l’étape d’analyse des risques et vulnérabilités”, abonde Fabris Compaoré, responsable suivi-évaluation pour GCCA+ AO. “Une solution d’agriculture intelligente face au climat peut être adaptée pour une localité mais rarement pour une autre, les conditions varient et doivent être connues de manière précise”.

“Même si ce besoin de sur mesure constitue un défi de mise à échelle de nos projets d’information climatique, on n’a pas le choix que de relever ce défi, tant la variabilité climatique est croissante” reconnaît Ousmane Ndiaye - Directeur de l’exploitation météorologique à l’ANACIM Sénégal.

Passer de l’échelle locale aux échelles nationales et régionales

Pour Jacques André Ndione, coordinateur du projet régional de promotion de l’agriculture intelligente face au climat mis en œuvre par l’Agence régionale pour l’alimentation et l’agriculture (ARAA), ”aujourd’hui nous sommes tous d’accord que le climat nous met en péril, mais la finance climat manque toujours de masse critique en Afrique de l’Ouest”.  Aussi, pour réduire la dépendance à l’aide publique externe, une plus forte mobilisation du secteur privé et, partant, une meilleure profitabilité de l’AIC et de l’agroécologie sont encouragés par la CEDEAO via des incitations financières.

La Stratégie Régionale Climat (SRC) de la CEDEAO adoptée en juin 2022 qui vient structurer l’action climatique de la région doit également permettre à la CEDEAO d’actionner les leviers nécessaires pour le passage à l’échelle des techniques d’AIC et d’agroécologie qui ont été capitalisées. En effet, la SRC dans son volet agriculture prévoit tout un résultat attendu dédié à la promotion de l’AIC, incluant les pratiques agroécologiques, visant notamment à opérationnaliser l’Alliance ouest-africaine pour l’AIC , capitaliser sur les nombreux projets de terrains justement pour optimiser le passage à l’échelle, développer des programmes de formation sur les résultats des bonnes pratiques, mais aussi accroitre la mobilisation de financements pour l’AIC à travers le Fonds Régional pour l’Agriculture et l’Alimentation (FRAA) de la CEDEAO ainsi que le développement d’outils assurantiels pour les agriculteurs qui font face aux impacts des changements climatiques.

Gérer durablement la ressource en eau

La capitalisation régionale des projets pilotes soutenus par le projet GCCA+ AO a démontré que les bonnes pratiques d’AIC et d’agroécologie constituent des outils indispensables de gestion/maîtrise de la ressource en eau et d’atteinte des objectifs climat des politiques publiques ouest africaines. Au Cap Vert où certaines îles n’ont pas reçu de pluie pendant quatre ans, les techniques innovantes d’optimisation de l’eau en agroforesterie expérimentées par ADPM sont à présent suivies de près par le Ministère de l’agriculture cap-verdien comme l’explique son directeur Environnement, Alexandre Nevsky Rodrigues.

Anticiper les risques de la maladaptation et œuvrer aux synergies entre agroécologie et agriculture intelligente face au climat

Les synergies entre AIC et agroécologie sont in fine nombreuses selon Felix Kalaba, auteur principal du chapitre Afrique du Groupe de travail II au sixième Rapport d’évaluation du GIEC : « Nous devons résoudre nos débats d'experts car sur le terrain, les agriculteurs confrontés aux effets néfastes des changements climatiques veulent simplement être plus résilients, produire de manière abordable, accéder aux marchés, vendre des produits, avoir des revenus. L'AIC et l'agroécologie peuvent toutes deux les aider dans cette direction, il y a beaucoup de synergies ». Alexandre Magnan, confrère membre du GIEC, conclue aussi sur l’importance de la prise en compte des interactions environnementales, sociales et économiques des projets d’adaptation. Et ce dès le stade de la conception des projets : “éviter les maladaptations repose en grande partie sur la non reproduction des erreurs passées et actuelles, notamment l’expérience empirique en matière d’aménagement du territoire et de gestion des risques naturels”.

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