Santé sexuelle et reproductive : « Les adolescents et jeunes filles ont besoin d’une prise en charge spécifique »

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Afrique subsaharienne
Au terme du projet FSP-I – DSSR, qui vise à promouvoir l'égalité fille-garçon et la santé sexuelle et reproductive pour les adolescents scolarisés et non scolarisés au Sénégal et au Togo, Expertise France a piloté une évaluation pour rendre compte de la performance du programme. Anne Boutin, évaluatrice et directrice du bureau d’études Gaia Développement, a été mandatée pour conduire cette évaluation. Elle revient sur ses conclusions et les leçons apprises grâce au projet.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’éducation complète à la sexualité (ECS) ? Quelle est son importance et à quelles problématiques répond-t-elle ?

Anne Boutin – L’éducation complète à la sexualité est une manière d’enseigner la sexualité sans discrimination, en fonction de l’âge, sans jugement de valeur et sur des bases scientifiques. Il s’agit d’une thématique essentielle, que ce soit dans le milieu scolaire ou en dehors : tous les jeunes en ont besoin. Elle répond notamment à des problématiques liées à la santé des jeunes et adolescentes, à la prévention des grossesses non désirées et à la lutte contre les violences basées sur le genre.

Quels sont selon vous les grands enjeux sur les projets relatifs à la santé sexuelle et reproductive (SSR), particulièrement en Afrique de l’Ouest ?

Anne Boutin – En Afrique de l’Ouest, plus de la moitié de la population a moins de 25 ans. Cette population jeune souffre d’un manque d’accès à des informations fiables et à des services adaptés, facilement accessibles. Ces lacunes sont liées à la persistance de tabous, de croyances religieuses et de certaines pratiques culturelles. Il s’agit de lutter contre les IST (dont le VIH), les grossesses précoces, les avortements non sécurisés et les violences basées sur le genre : des risques auxquels les filles sont davantage exposées.
 

 Les adolescents et jeunes filles ont besoin d’une prise en charge spécifique 


De plus, les adolescents et jeunes filles ont besoin d’une prise en charge spécifique, car ce ne sont plus des enfants, mais ils ne sont pas encore des adultes. Il faut souligner aussi que si les pays ont ratifié les traités internationaux relatifs aux droits et à la santé sexuels et reproductifs, ils ne les appliquent pas forcément dans leur globalité. Les pouvoirs publics en charge des politiques ne s’approprient pas suffisamment ces questions. Ils ont tendance à se défausser de leurs responsabilités sur les partenaires.

Quelles difficultés avez-vous constatées sur le terrain ?

Anne Boutin – La crise sanitaire a beaucoup perturbé la mise en œuvre des activités. Au Sénégal, elle s’est aussi heurtée à une difficulté plus spécifique : une polémique autour du concept même d’ECS, qui a conduit à abandonner cette thématique au profit d’une autre, la lutte contre les violences en milieu scolaire. De ce fait, la question de l’égalité des genres est apparue un peu « noyée », car on ne s’attaquait pas directement à l’amélioration de la situation des filles.

Quel est l’intérêt de l’évaluation pour un projet comme celui-ci ?

Anne Boutin – L’intérêt de l’évaluation est d’apporter un regard externe, de rendre compte de la performance du programme, tirer des leçons et formuler des recommandations aux parties prenantes.

Sur quoi a porté l’évaluation de ce projet ?

Anne Boutin – L’évaluation a porté pour le volet communautaire sur toutes les activités mises en œuvre dans le cadre de ce projet par les partenaires sur le terrain : l’ATBEF au Togo et ENDA Santé au Sénégal. Elle a également concerné les réalisations du volet institutionnel piloté par l’UNESCO.
 

Comment l’évaluation a concrètement été menée sur place ?

Anne Boutin – En amont de la mission, un référentiel a été élaboré pour structurer la démarche et cerner les investigations à conduire, dans la perspective de répondre aux questions d’évaluation.
 

J'ai pu mener des investigations terrain grâce à la facilitation et la disponibilité des parties prenantes


J’ai ainsi pu mener des investigations terrain grâce à la facilitation et à la disponibilité des parties prenantes et partenaires, au Sénégal comme au Togo. Dans le contexte sanitaire actuel, et dans le respect des gestes barrières, j’ai mené certains des entretiens à distance. Mais j’ai tout de même pu assister à des activités telles que des focus groupes (sessions de dialogue communautaire), des leçons en classe, et des prestations de soins et de conseil en milieu communautaire réalisées grâce aux cliniques mobiles.

Quelles observations principales tirez-vous de votre évaluation dans les deux pays ?

Anne Boutin – Je retiendrai la grande pertinence du projet qui apporte des réponses concrètes aux besoins des jeunes en matière de SSR. Mais au vu des difficultés rencontrées au Sénégal, la stratégie d’intervention aurait gagné à mieux prendre en compte le contexte de chaque pays. Pour l’exécution, les partenaires de mise en œuvre ont su tirer parti de leur connaissance du contexte et de leur ancrage local pour travailler en synergie avec tous les acteurs concernés, ce qui s’est avéré très efficace.

Que pensez-vous des synergies entre les volets institutionnels et communautaires du projet ?

Anne Boutin – Il y a eu des synergies intéressantes au sein de chaque composante. Au niveau du volet institutionnel, on peut constater des efforts pour intégrer la communauté à travers des actions vers les parents et les personnels non enseignants. De même, les activités menées dans le cadre du volet communautaire ont également touché le milieu scolaire via un dialogue avec les enseignants, la sensibilisation dans les écoles coraniques et le renforcement de pair-éducateurs dans les établissements scolaires. Les pairs-éducateurs sont des jeunes choisis pour leur engagement et leur exemplarité, sur la base du volontariat. Ils sont des vecteurs d’information et de communication avec leurs pairs qui leur font confiance, se confient plus facilement à eux et les écoutent. En revanche, il y a peu de synergie entre les deux composantes.

Quelle principale bonne pratique a révélé l’évaluation du projet ?

Anne Boutin – Le dispositif de formation « en cascade » du module « Violences de genre en milieu scolaire », facilité par les inspecteurs d’éducation, a permis d’intégrer d’autres acteurs qui n’étaient pas forcément présents dès le début du processus. Le concept de non-violence a ainsi été plus largement répandu à travers les acteurs enseignants et non enseignants. Je constate également une bonne appropriation des concepts appris lors des formations.
 

Le dispositif de formation « en cascade » a permis d'intégrer d'autres acteurs

Les dispositifs mis en œuvre ont-ils produits des effets ?

Anne Boutin – La plupart des résultats quantitatifs ont été atteints voire dépassés. Au terme de la mission, nous constatons qu’il y a eu beaucoup d’efficacité et un bon niveau d’appropriation. Les jeunes eux-mêmes, ainsi que les parents, les leaders religieux et les autorités locales estiment avoir pris conscience de l’importance de certaines valeurs, comme le respect mutuel entre hommes et femmes. L’intérêt du dialogue intergénérationnel semble également partagé. Les enseignants adhèrent quant à eux à la pédagogie active. Tous indiquent avoir changé de comportement et/ou œuvré à ces changements, notamment au niveau de la communauté.

Mais la portée du projet est limitée à une zone géographique très restreinte. Le passage à l’échelle est incertain et la pérennisation des résultats reste fragile, du fait de l’arrêt des financements. La poursuite des activités est conditionnée à la capacité des acteurs à trouver de nouveaux fonds, à s’engager et à s’impliquer, ainsi qu’au soutien des acteurs institutionnels.

Quelles recommandations donneriez-vous par rapport au passage à l’échelle de ce type de projets ?

Anne Boutin – Il me semble important de préparer bien en amont la pérennisation des dispositifs en ayant des stratégies de sortie. Je recommanderais également que les partenaires financiers exigent ou demandent une contrepartie nationale pour anticiper l’endossement de ces sujets. Enfin, il importe de mobiliser et de s’appuyer sur des organisations de la société civile nationales présentes et actives, à même de continuer tout ou partie des activités.

Pour vous, qu’est-ce qu’un « bon projet SSR » ?

Anne Boutin – Un « bon projet SSR » en Afrique de l’Ouest devrait aborder la problématique sous l’angle de la santé et intégrer le secteur de l’éducation. L’État devrait prendre en compte ces questions dans les curricula scolaires et reconnaître le volet communautaire.
 

 Sortir de l'approche projet pour mettre les acteurs au coeur des processus 


De façon plus générale, il importe de travailler sur tous les fronts et dans la durée, c’est-à-dire de sortir de l’approche projet pour mettre les acteurs au cœur des processus des changements visés. La première chose serait de donner la parole aux jeunes, afin qu’ils puissent participer à l’élaboration des mesures qui les concernent.
 

 

Financé par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français, le projet FSP-I – DSSR Sénégal et Togo a été coordonné par Expertise France et mis en œuvre par l’UNESCO et la Fédération internationale du planning familial (IPPF). L’UNESCO est intervenu sur la composante 2, relative au volet institutionnel. La composante 1, axée sur le volet communautaire, a quant à elle été déployée par l’IPPF, avec l’appui de deux ONG partenaires sur le terrain : l’Association togolaise pour le bien-être famililae (ATBEF) au Togo et ENDA Santé au Sénégal
 

En savoir plus sur le projet FSP-I – DSSR Sénégal et Togo

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