"Depuis sa création, Expertise France a fait sienne la stratégie française en santé mondiale"

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À l’occasion du lancement officiel à Lyon de la stratégie française en santé mondiale pour 2023-2027, entretien avec Antoine Peigney, directeur du Département Santé d’Expertise France, sur la vision et les engagements de la France en matière de santé mondiale, et le rôle prépondérant d’Expertise France dans la mise en œuvre de cette stratégie.

Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et Aurélien Rousseau, ministre de la Santé et de la Prévention, ont présenté jeudi 12 octobre, depuis le Centre International de Recherche sur le Cancer à Lyon, la nouvelle stratégie française en santé mondiale pour la période 2023-2027, en présence du Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Expertise France continuera à inscrire son action dans la lignée de cette stratégie, pour répondre aux attentes de ses pays partenaires.

Dans cet entretien, Antoine Peigney, Directeur Santé d’Expertise France décrypte la vision et les engagements de la France en matière de santé mondiale.

 

  Stratégie française en santé mondiale 2023-2027

 

Expertise France, en sa qualité d’agence publique de conception et de mise en œuvre de projets internationaux de coopération technique, opère dans le cadre de cette stratégie qui oriente les activités du département santé. Pourriez-vous nous éclairer sur la façon dont le département santé envisage d’aligner ses actions sur les priorités de cette nouvelle stratégie, et quelles implications cela pourrait avoir pour les projets en cours et à venir ?

Depuis la création d’Expertise France par le gouvernement en 2015, le département santé a fait sienne la stratégie française en santé mondiale, structurée autour de quatre piliers. Ainsi de 2017 à 2022, chaque année, le département Santé a contribué au bilan de la France via des projets et de l’assistance technique qui se sont déployés pour renforcer les systèmes de santé (premier pilier), la sécurité sanitaire internationale (deuxième pilier), la promotion de la santé des populations (troisième pilier), tout en cherchant à mobiliser l’expertise française et la recherche (quatrième pilier).

À Lyon, le 12 octobre 2023, a été adoptée la nouvelle stratégie française en santé mondiale, pour la période de 2023 à 2027, qui affiche 5 priorités :

1. Promouvoir des systèmes de santé centrés sur la personne, pour atteindre la couverture sanitaire universelle (CSU)

2. Promouvoir la santé des populations et lutter contre les maladies à tous les âges de la vie

3. Anticiper et répondre aux urgences de santé publique et au changement climatique dans une approche « Une seule santé » (humaine, animale, environnementale)

4. Promouvoir une nouvelle architecture en santé mondiale s’appuyant sur la complémentarité de notre action bilatérale et multilatérale

5. Faire de la recherche et de l’expertise publique et privée des leviers d’action et d’influence au service de la stratégie en santé mondiale

Nous avons été très associés à la construction de cette nouvelle stratégie, en nous appuyant sur notre bilan des années passées, lesquelles ont forgé notre légitimité d’opérateur assemblier de mise en œuvre.

Ainsi, Expertise France poursuivra sa mission, dont le mandat est parfaitement aligné sur la stratégie de la France, dans le même esprit de cohérence, en sa double qualité d’opérateur des ministères (Affaires étrangères, Santé et Prévention) et de filiale du Groupe AFD. Cette mission inclut la mise en œuvre de L’Initiative (gestion de 319 M€ sur les années 2023, 2024, 2025, déléguée à Expertise France par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, sur la contribution de la France au Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme).

Pour contribuer à l’atteinte des objectifs de développement durable, notamment l’ODD3, la France a clairement défini des priorités clés. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les ambitions que la France entend réaliser d’ici 2027, notamment en ce qui concerne la couverture sanitaire universelle (CSU) et OneHealth ?

L’axe fort de cette nouvelle stratégie réside dans l’approche « Une seule santé ». À l’aune de la pandémie de Covid-19, mais aussi des effets induits du changement climatique, nous avons pris conscience de la nécessité absolue de combiner les trois santés, humaine, animale et celle des écosystèmes. Le défi reste à faire émerger des demandes explicites des pays partenaires de la France, afin qu’Expertise France puisse agir avec impact. À ce stade, nous disposons d’une expérience reposant sur trois projets qui intègrent l’approche One Health, notamment en République démocratique du Congo, en République dominicaine, et au Togo.

Par ailleurs, la couverture sanitaire universelle (CSU) reste une priorité majeure, quand on sait que 24 % de la population mondiale vit dans des contextes de fragilité où il est difficile de dispenser des services de santé de qualité.

Expertise France, dans tous ses domaines d’expertise, dont la santé, a la mission, depuis 2015, et renouvelée par l’État via son contrat d’objectif et de moyens (COM 2024-2027) d’agir en priorité dans ces pays dont la situation est complexe.

Outre cette concentration géographique, le COM 2024-2027 précise qu’Expertise France en matière de santé, outre une priorité poursuivie via L’Initiative sur les pandémies, accentuera son action en faveur des droits et santé sexuels et reproductifs, la santé maternelle, néonatale et infantile, l’offre de soins, de l’hôpital à la santé communautaire, les laboratoires de santé publique, et plus largement tout ce qui contribue au renforcement des systèmes de santé.

Enfin, la stratégie veut faire des ressources humaines en santé (RHS) un marqueur essentiel qui conditionne les objectifs décrits. En effet, il manque 10 millions d’agents de santé dans les pays à bas et moyen revenus, d’où cet engagement de la France pour participer activement à la formation des personnels soignants, dont 70 % sont des femmes.

La stratégie souligne l’importance de la recherche et de l’expertise, tant publique que privée, comme leviers essentiels d’action et d’influence. Comment Expertise France envisage-t-elle de collaborer avec ces experts pour maximiser l’efficacité et l’impact de cette stratégie ?

En matière de recherche, Expertise France, à travers L’Initiative, est un acteur très engagé. Nous lançons chaque année des appels à projets spécifiquement orientés vers la recherche. Ainsi, l’appel 2023 que nous venons de clôturer a sélectionné deux projets de recherche sur le paludisme pour un montant de près de 5,7 M€. L’année précédente, nous avions soutenu trois projets de recherche en lien avec le VIH. Sans oublier les projets de recherche menés par l’ANRS, que nous avons financés à hauteur de près de 1 M€, en lien avec la pandémie de Covid-19. Notons également un lien fort avec l’IRD et le réseau des Instituts Pasteur dans plusieurs pays.

Sur la mobilisation de l’expertise, c’est le cœur de la mission de l’agence Expertise France. En 2023, 17 M€ ont été engagés pour mobiliser des experts, déployés en assistance technique par les équipes de L’Initiative, pour accompagner en 2023 les pays éligibles aux subventions du Fonds mondial. Dans les projets du département Santé, ce sont actuellement plus d’une centaine d’experts qui sont mobilisés. Et en notre qualité d’assemblier, nous nous efforçons évidemment de mobiliser l’expertise française de l’écosystème public français pour contribuer à la logique d’influence voulue par notre gouvernement. Dans ce sens, nous avons un dialogue bilatéral avec les acteurs de cet écosystème, tels que Santé Publique France, les CHU, la HAS, l’ANSM, l’EFS, Mérieux, l’EHESP, l’EPSM de Lille, INCA, Curie, la FHF, etc., pour connaître leurs capacités et savoir comment les solliciter sur nos projets. En point d’orgue de ce dialogue privilégié, nous organisons un comité consultatif opérationnel (CCO) sous la double égide du ministère de la Santé et du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, pour rassembler tous les acteurs publics, et la coordination des ONG françaises, pour partager nos enjeux, dialoguer, et faciliter ensuite les partenariats opérationnels. Le prochain CCO sera en décembre 2023, évidemment une nouvelle occasion de balayer ensemble la stratégie française en santé mondiale qui nous oblige tous désormais à travailler en « Équipe France ».

Quels sont les principaux enjeux et défis que vous anticipez dans le cadre de la mise en œuvre de cette stratégie ? Et comment Expertise France se prépare-t-elle à y faire face ?

Les défis sont considérables même si des progrès ont été constatés depuis des années. La santé mondiale échappe aux frontières, les virus les franchissent sans se soucier de la souveraineté des États. Les pays les plus fragiles ne peuvent offrir un accès aux services de santé à toute leur population, ce qui accroît le désir d’aller ailleurs pour un certain nombre de personnes, en s’ajoutant aux vulnérabilités, menaces, et autres stigmatisations, qui n’offrent aucune alternative que la migration vers un ailleurs meilleur espéré.

Trop de pays n’investissent pas assez dans leur système de santé, les professionnels de santé, trop peu nombreux, inégalement répartis sur les territoires, doivent d’urgence être mieux reconnus, rémunérés, formés et accompagnés.

Il nous faut aussi mieux faire connaître notre offre d’expertise aux pays partenaires de la France. Ainsi en format Groupe AFD nous construisons actuellement des « Offres Groupe » sur le renforcement des ressources humaines en santé (RHS), l’amélioration de l’offre de soins, l’accès aux produits de santé, et la protection sociale en santé, dont l’objectif sera de donner une visibilité sur nos références acquises et nos savoir-faire.

Chacun, de l’État aux ONG, en passant par les opérateurs publics, a un mandat, et s’additionne aux autres pour créer un impact dans les pays où nous intervenons. Dans ce cadre, Expertise France a un mandat clair et fixé par l’État, avec des moyens financiers qui lui sont octroyés par son appartenance au Groupe AFD d’une part, mais aussi en qualité d’agence de coopération technique française pour les financements européens.

Nous nous organisons en conséquence pour être au rendez-vous de notre mission. En premier lieu cela tient à la qualité des femmes et des hommes, nos équipes, qui chaque jour s’engagent sur leurs projets et leurs fonctions.

Ensuite, nous devons être exemplaires dans la mise en œuvre de nos projets, pour répondre à la demande des pays de les accompagner dans leurs réformes, programmes nationaux, et tout ce qui les aide à construire un système de santé résilient, équitables, et pérennes.

En conclusion, je dirais que le défi pour « l’Équipe France en santé » sera de savoir vraiment travailler en « équipe » chacun à sa place, en confiance, pour gagner en impact en matière de « santé mondiale », et pour toujours mieux répondre aux besoins des pays partenaires.

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