« J’en appelle à un leadership à la charge des acteurs publics, en collaboration avec les acteurs privés»

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Expertise France et l’AFD organisent dans le cadre des Journées Européennes du Développement un panel de haut-niveau « Partnering for African Sovereignty on medical products access ». A cette occasion, Marie-Paule Kieny, vaccinologue et présidente du conseil d’administration du Medicines Patent Tool nous explique les enjeux liés à l’accessibilité aux médicaments des pays africains.

Quels sont les freins à l’accessibilité aux médicaments des pays africains ?

Ces freins sont multiples. Tout le monde pense bien en premier lieu au prix des médicaments. Les pays africains sont tous des pays à revenus bas ou intermédiaires. Or, le prix des médicaments et surtout celui  des médicaments qu’on appelle innovants, c’est-à-dire ceux pour lesquels il n’y a pas encore de prix générique, est au-delà de ce que les pays peuvent payer.

Il existe d’autres freins, notamment systémiques : pour pouvoir utiliser des médicaments, il faut des systèmes de santé compétents. On a donc souvent un problème d’accès et d’utilisation des diagnostics qui permettent de mettre en place comme le font d’autres pays des approches « tester/traiter ». Nous avons aussi des problèmes d’accès à des personnels qualifiés, des problèmes de chaînes d’approvisionnement. Tout cela constitue des freins à l’accessibilité aux médicaments des pays africains.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, certains médicaments sont plus chers pour les pays d’Afrique que pour les pays européens. En effet, et bien qu’il y ait un réel besoin, la demande est faible à cause des problèmes systémiques. On n'a donc pas dans les négociations avec l’industrie pharmaceutique un effet de volume qui permettrait de faire descendre les prix de ces médicaments.

Comment les acteurs publics et privés peuvent-ils mieux travailler ensemble pour répondre à ce besoin ?

Il faut qu’on ait une complémentarité entre les acteurs publics et privés, tout en sachant que les intérêts des deux secteurs et types d’acteurs ne se recouvrent pas totalement. Pour certains acteurs privés, la maximisation du profit est la première des priorités, ce qui n’est évidemment pas le cas des acteurs publics, et de certains acteurs privés qui travaillent dans le domaine de la philanthropie ou de la société civile.

Il est impératif de bien comprendre et de bien aligner les domaines dans lesquels les intérêts de ces acteurs sont concordants et de collaborer autant que possible dans les  domaines dans lesquels on a une coalescence des intérêts tout en ayant conscience du fait que cela ne correspond pas à la totalité des secteurs d’intérêts de ces différents acteurs.

J’ai pour ma part toujours plaidé pour une reconnaissance du leadership des gouvernements. C’est à eux que revient la tâche de réguler l’activité des acteurs publics comme privés. C’est aux gouvernements qu’il appartient de lever l’impôt pour pouvoir payer pour les investissements dans la santé. La collaboration avec les acteurs privés doit s’inscrire dans un schéma mis en place par les gouvernements, en concertation avec les acteurs publics.

Les gouvernements sont également en charge de réguler l’ensemble des normes qui permettent d’assurer la sécurité  et l’efficacité des interventions dans le domaine de la santé que ce soit en matière de soins ou de produits de santé. En particulier, j’aimerais souligner le rôle critique que doivent jouer les gouvernements dans le domaine de la régulation de la formation des professionnels de santé. Ces derniers doivent être formés en nombre beaucoup plus élevés. C’est un besoin dans les pays africains mais aussi en France et dans les pays riches.  

Comment consolider les chaînes de fabrication et distribution sur le continent ? Comment rendre les prix abordables ?

Il est important de supporter les initiatives que l’on voit apparaitre de plus en plus sur le continent africain qui consistent à consolider une approche continentale, par exemple de la régulation du médicament avec l’agence du médicament dont la mise en place commencera bientôt.  

Entre 2021 et 2022, on a vu à quel point le fait qu’il n’y ait pas de production pharmaceutique sur le sol africain a été une limite inacceptable à un accès équitable de la population à des vaccins contre le Covid-19. Ce constat a débouché sur une prise de conscience de l’importance d’une production locale en Afrique, qui devrait permettre de rendre les produits plus accessibles et parfois mieux adaptés aux populations africaines. Il faut pour cela appuyer les approches régionales. On voit bien en effet que chaque pays ne peut pas se lancer dans la production de tous les médicaments ou vaccins essentiels, mais une collaboration entre groupes de pays pourrait permettre de créer un marché viable pour des productions locales.

Quels sont les axes de collaboration du MPP avec le groupe AFD ?

Pour le moment, le PMMP travaille surtout avec l’AFD dans le grand projet que le MPP et l’OMS co-coordonnent  qui est la mise en place en Afrique du sud d’une plateforme de développement et de transfert de technologie pour les vaccins basés sur l’ARN messager. La France en est un des financeurs majeurs, et un des premiers gouvernements à s’être prononcé en faveur de ce projet et dont l’AFD est un partenaire.

L’AFD est en en discussion avec un certain nombre de pays qui participent à ce projet, et le support de la France pourrait aider les pays qui seront les récipiendaires de cette technologie à mettre en place ce nouveau procédé de fabrication de vaccins.

Nous sommes très appréciatifs au MPP, et moi également en tant que Présidente du Conseil d’Administration, de l’approche que prend le groupe AFD de soutenir les pays de façon systémique et de renforcer leurs institutions.

 

(Re)voir le panel de haut niveau Partnering for African Sovereignty on medical products access

 

 

En savoir plus sur le site des Journées européennes du développement

 

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