Lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme en Afrique de l’Ouest : « La volonté politique est clé »

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Afrique subsaharienne
Financé par l’Union européenne et mis en œuvre par Expertise France, le projet OCWAR-M a pour objectif de renforcer les outils de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT) dans les pays de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et en Mauritanie. Basée à Dakar, l’équipe de mise en œuvre du projet revient sur le contexte régional et la stratégie d’OCWAR-M pour répondre aux besoins des 16 États partenaires.

Quels sont les défis en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme (LBC/FT) en Afrique de l’Ouest ?

Stéphanie Berthomeau – L’Afrique de l’Ouest est très exposée au risque terroriste, notamment – mais pas seulement – dans la région du Sahel. La criminalité organisée y est également fortement présente, avec une diversité de trafics en présence (drogues, armes, êtres humains…). Au-delà de leurs conséquences sécuritaires, ces phénomènes ont des effets néfastes sur les économies nationales : il est donc important pour les États ouest-africains de renforcer leur lutte contre ce type de crime afin de protéger leurs systèmes bancaires et financiers.

Samuel Diop – Il faut aussi souligner que certaines faiblesses structurelles rendent la région particulièrement vulnérable. La porosité des frontières permet aux trafiquants d’opérer librement tandis que la faiblesse institutionnelle des États et certaines insuffisances en matière de gouvernance financière (corruption, évasion et fraude fiscales…) compliquent leur lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Claire Dollmann – Par ailleurs, les dispositifs de LBC/FT eux-mêmes sont encore assez peu développés : même si des efforts notables ont été faits ces dernières années, il y a peu de condamnations et de saisie des avoirs. De plus, la coordination est insuffisante entre les acteurs de la chaîne pénale : administrations, police et justice ne travaillent pas ensemble et ne se concertent pas au préalable sur une stratégie commune. Par conséquent, les actions entreprises n’aboutissent pas à la condamnation des personnes impliquées et à la saisie de leurs avoirs – ce qui est le principal objectif en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Le premier défi pour OCWAR-M sera donc d’accompagner les dispositifs mis en place dans les États membres pour que cet objectif puisse être atteint.

Quelle est l’approche retenue par OCWAR-M pour répondre à ces problématiques ?

Stéphanie Berthomeau – OCWAR-M est un projet sur mesure : notre objectif est de répondre aux besoins spécifiques identifiés dans chaque pays partenaire, pour qu’ils aient une meilleure compréhension des risques, un cadre juridique d’intervention renforcé et les outils nécessaires à une réponse opérationnelle efficace. Nous avons échangé avec eux afin d’élaborer un plan d’action. Nous travaillerons également en étroite collaboration avec le GIABA, l’institution de la CEDEAO chargée de renforcer les capacités des États membres en matière de LBC/FT et d’organiser les évaluations nationales des risques et les évaluations mutuelles des États membres.

Claire Dollmann – Nous agirons auprès de tous les pays couverts par le projet mais nous aurons une expérience particulière dans deux pays choisis par le projet comme pilotes, le Ghana et le Sénégal. Leur niveau d’avancement en termes de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, – leur plan d’action en matière de LBC/FT vient d’être évalué par le GIABA – nécessite et permet de les accompagner dans une évolution efficiente de leur dispositif. Cette expérience sur les pays pilotes bénéficiera ensuite à tous les pays.  

Samuel Diop – Notre approche sera très pragmatique, de façon à répondre à des besoins identifiés pendant les missions effectuées pendant la phase de démarrage du projet dans chaque pays partenaire. Par exemple, nous prévoyons de mettre en place un suivi rapproché de cinq cellules de renseignement financier (CRF) dans lesquelles des faiblesses ont été identifiées, afin de leur permettre d’adhérer au groupe Egmont – un réseau international d'intelligence financière qui réunit les CRF du monde entier et vise à améliorer la coopération en matière de LBC/FT. Nous pourrons également travailler sur les institutions non financières – notaires, avocats, agents de change, casinos… – dont la supervision est encore très peu développée.

Comment travaillerez-vous ? Quel est votre rôle à chacun ?

Stéphanie Berthomeau – En tant que coordinatrice du projet OCWAR-M, j’assure la gestion du projet et de ses activités, en m’assurant de la bonne mise en œuvre du plan d’action défini lors de la phase de démarrage du projet. J’ai également des fonctions de représentation et de coordination avec les autres projets actifs sur la thématique LBC/FT en Afrique de l’Ouest, qu’ils soient financés par l’Union européenne ou non. Le projet bénéficie également de l’expérience de deux experts long-terme, spécialistes, respectivement, des aspects juridiques et financiers de la LBC/FT. Cette expertise spécialisée est très importante pour la réussite du projet.

Claire Dollmann – Je suis magistrat, ce qui permet des échanges techniques et opérationnels fluides avec l’ensemble des acteurs de la chaîne dite pénale (chaîne des investigations depuis la CRF – cellule de renseignement financier – jusqu’à la condamnation judiciaire, en incluant les administrations spécialisées et les enquêteurs officiers de police judiciaire). L’objectif est véritablement d’accompagner au mieux ces acteurs vers une coordination plus efficace, avec une formation adaptée dans chaque pays et auprès de chaque entité, de manière spécifique et coordonnée. Car la faille d’un seul de ces acteurs met en cause la crédibilité, l’efficacité de l’ensemble de la chaîne.

Samuel Diop – J’interviendrai pour ma part notamment sur les aspects relatifs au renforcement des capacités des cellules de renseignement financier et la supervision des systèmes financiers et des EPNFD (entités non financières). En fait nous travaillerons le plus possible ensemble, car un grand nombre d’actions comportent des dimensions opérationnelles, financières mais également juridiques. Par exemple, s’il s’agit de former des magistrats à analyser un bilan bancaire, mobiliser des compétences financières est essentiel. De même, le renforcement des capacités des membres et des analystes d’une cellule de renseignement comporte un important volet judiciaire. Nous nous attacherons à intervenir de façon complémentaire.

Pour finir, quelle est selon vous la clé de réussite pour OCWAR-M ?

Stéphanie Berthomeau, Samuel Diop et Claire Dollmann – Deux choses : la volonté politique des pays et l’implication des acteurs.

 

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