« Le climat, ce n’est plus l’affaire d’un seul pays »

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Afrique subsaharienne
A l'occasion de la journée mondiale de l'environnement, Alain Sy Traoré, Directeur de l’Agriculture et du Développement rural au sein de la Commission de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), revient sur l’engagement de l’organisation régionale en matière de lutte contre le changement climatique et défend la pertinence de l’approche régionale dans ce domaine.

Quelles politiques menées par la CEDEAO contribuent à lutter ou à s’adapter au changement climatique ?

Alain Sy Traoré : Plusieurs éléments cadrent notre action. Tout d’abord, selon le traité fondateur de la CEDEAO, l’agriculture, la sécurité alimentaire et l’environnement sont les secteurs pour lesquels la définition de politiques et de dispositifs réglementaires régionaux est possible.

Sur cette base, nous avons développé deux politiques régionales en lien avec l’environnement et le climat : l’ECOWAP, notre politique agricole, et l’ECOWEP, notre politique environnementale.

Comment cela se traduit-il concrètement ?

Alain Sy Traoré : Sur la base de ces deux politiques et des plans d’action associés, la CEDEAO poursuit un ensemble d’initiatives concrètes. C’est notamment le cas en matière d’agriculture, une priorité pour nous car elle est très concernée par les effets du changement climatique. Nous sommes donc depuis longtemps membres de l’Alliance globale pour l’agriculture intelligente face au climat (GACSA en anglais) et nous avons créé son pendant régional pour l’Afrique de l’Ouest (WACSAA).

Nous sommes aussi résolument engagés dans l’initiative « 4 pour 1000 » : elle a conduit à la mise en place de projets financés par la France en appui à la CEDEAO, par exemple notre projet d’appui à la transition agro-écologique en Afrique de l’Ouest (PATAE).

Plus récemment, le volet « Afrique de l’Ouest » du programme européen GCCA+ a donné lieu à un partenariat avec Expertise France qui j’espère sera très fructueux. Nous avons pu travailler ensemble sur l’initiative ouest-africaine pour une agriculture intelligente face au climat, qui fait partie des 6 projets sélectionnés dans le cadre d’un concours du « Global Innovation Lab for Climate Finance ».

En quoi consiste cette initiative ?

Alain Sy Traoré : Notre idée de départ, c’est de permettre à des donateurs – entreprises, banques régionales, etc. – de contribuer financièrement à l’adaptation de l’agriculture au changement climatique par le biais de notre Fonds régional pour l’agriculture et l’alimentation (FRAA). C’est pour cela que nous voulons créer un nouveau guichet consacré à la finance-climat, en plus des guichets existants au sein du FRAA.

Il s’agit d’un sujet complexe et où les besoins de financement sont importants, d’où ce mécanisme de financement régional. Le guichet visera à stimuler les investissements verts dans le domaine de l’agriculture. Un volet d’assistance technique appuiera les coopératives, organisations paysannes, ONG, etc. pour qu’elles soient en capacité d’y avoir recours.

Des experts mobilisés par Expertise France nous ont appuyés dans la réflexion stratégique en fournissant de l’expertise technique « climat ». Actuellement, nous sommes en train de finaliser le mécanisme pour que ce guichet finance-climat fonctionne. Le lancement est prévu pour 2020.

Cela devra contribuer à répondre au défi du financement de la transition écologique : selon le diagnostic mené dans le cadre de GCCA+, plus de 340 milliards de dollars sont nécessaires sur la période 2015-2030 pour la mise en œuvre des engagements climat.

Vous parlez du financement nécessaire à la réalisation des engagements climat. Quels sont les autres principaux besoins identifiés pour l’Afrique de l’Ouest ?

Alain Sy Traoré : Seul document de référence existant en la matière, le diagnostic mené dans le cadre du programme GCCA+ (disponible ci-contre) identifie quatre sujets prioritaires pour nos 15 Etats membres. Le premier est donc celui de la mobilisation des financements, à la fois publics et privés. Les trois autres consistent à :

 • Mieux communiquer et vulgariser les sujets « climat » : les « contributions déterminées au niveau national » (CDN) sont encore une affaire d’initiés, alors que le sujet devrait être connu et maîtrisé par tous, à commencer par les décideurs politiques.

 • Renforcer les outils de suivi de la mise en œuvre des engagements climat : il faut pouvoir collecter l’information pour rendre compte de nos progrès, dans une logique de transparence et de redevabilité.

 • Renforcer les capacités de recherche et de production scientifique dans la région : nous avons des chercheurs (ingénieurs, agronomes, etc.) qui pourraient, avec l’appui adéquat, être en mesure de remonter des données robustes issues d’observations de terrain.

GCCA+ soutient l’effort régional de mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat. Pourquoi l’échelon régional est-il pertinent dans la lutte contre le changement climatique ?

Alain Sy Traoré : Tout d’abord, il faut rappeler que la CEDEAO est une zone de libre-échange et de libre-circulation : en contrepartie, le droit communautaire a la primauté sur les droits des Etats membres, et il a un effet direct. Cela donne une force à la réglementation régionale dans le domaine climatique : quand la CEDEAO légifère, cela vaut pour tous et sans délai.

Par ailleurs, la CEDEAO a la capacité d’aider ses Etats membres, notamment les plus vulnérables. Ainsi, quand un pays est face à une catastrophe naturelle, la première porte d’entrée est la CEDEAO, qui peut aider financièrement l’Etat touché.

Enfin, plus fondamentalement, les impacts du changement climatique sont par nature transfrontaliers. Un exemple qui concerne l’agriculture : les chenilles légionnaires. Ces insectes ravageurs sont apparus en Afrique de l’Ouest à cause du changement climatique, et les papillons peuvent circuler sur plusieurs milliers de kilomètres. Ce n’est dès lors plus l’affaire d’un seul pays : par la coordination et l’élaboration de réponses communes, l’intervention régionale est plus efficace.

Comment intervient la CEDEAO ?

Alain Sy Traoré : Quatre principes guident notre action : subsidiarité, complémentarité, coopération et solidarité. Le premier est particulièrement important : on ne fait pas ce que les pays font mieux seuls. Le régional intervient pour créer des économies d’échelle en mutualisant les efforts.

La CEDEAO permet par exemple de mobiliser des ressources financières pour des projets multi-pays. Certains bailleurs ne financent pas les projets inférieurs à certains seuils financiers : cela pénalise les petits pays qui ne sont pas en mesure de gérer des initiatives au-delà d’un certain montant. En passant par l’échelon régional, ce problème disparaît.

Nous permettons aussi de favoriser les échanges entre Etats et la cohérence des politiques nationales. Cela peut passer par la création de plateformes d’échange de bonnes pratiques, comme par un appui à la déclinaison, au niveau national, des règles fixées par la CEDEAO – par exemple en matière de limitation des émissions de gaz à effet de serre.

Enfin, la CEDEAO peut être porteuse d’un leadership politique fort. En tant qu’organisation régionale, nous facilitons le rapprochement des points de vue d’Etats aux problématiques différentes – un pays sahélien et un pays côtier, un pays producteur de pétrole ou non producteur... Même s’il nous reste du chemin à faire, nous construisons progressivement une compréhension commune des enjeux, et une réponse régionale. Le projet GCCA+ renforce nos capacités à assumer ce rôle moteur en tant qu’institution régionale.

 

La mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le Climat en Afrique de l’Ouest : état des lieux des contributions déterminées au niveau national (CDN) et des besoins en renforcement de capacités

Lancé à l’été 2018, le diagnostic initial du projet GCCA+ « Afrique de l'Ouest » pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris en Afrique de l’Ouest présente un panorama régional des impacts liés aux changements climatiques et des 17 CDN de la région (espace CILSS-CEDEAO).

Depuis les obstacles institutionnels, techniques et financiers rencontrés par les pays dans la mise en œuvre de ces engagements, jusqu’au recensement des besoins en renforcement de capacités exprimés par ces derniers, le rapport propose une grille de lecture pour définir les actions régionales prioritaires, et met en lumière le rôle incontournable que peut jouer la CEDEAO dans ce processus.

Introduit par une préface engagée, signée par Monsieur le Commissaire en charge de l’Agriculture, de l’Environnement et des Ressources en Eau, Sékou Sangaré, le rapport servira certainement de base au lancement d’une stratégie régionale climat, en réponse à l’appel du Commissaire « d’agir ensemble face à l’urgence climatique dans le cadre de la solidarité régionale pour permettre à la région de réduire sa vulnérabilité ».

Télécharger le diagnostic complet

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