Eloi Laurent : « La notion de transition juste propose de dépasser l’horizon de la croissance économique »

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Expertise France lance une collection de « position papers » visant à décrypter une notion liée à la coopération internationale. Dans ce premier numéro, à l’occasion de la COP28 sur les changements climatiques, Eloi Laurent définit la notion de transition juste. Éloi Laurent est économiste senior à l’OFCE/Sciences Po et enseigne à Ponts Paris Tech, à l’Essec Business School et à Stanford University. Ses travaux portent sur l’économie du bien-être et la social-écologie.

Les crises écologiques et climatiques se multiplient. Quelles conséquences peuvent-elles avoir au plan économique ?

Elles ont déjà des impacts économiques et sociaux considérables : les catastrophes dites naturelles ont couté de l’ordre de 255 milliards d'euros dans le monde en 2022 dont la moitié seulement étaient assurés et de l’ordre de 10 milliards d’euros en France. Et ce n’est qu’un début. Les impacts sanitaires sont encore plus impressionnants : les températures extrêmes tuent déjà des millions de personnes chaque année sur la planète, qui deviendront des centaines de millions bientôt si la crise climatique n’est pas rapidement atténuée. En France, entre le Covid (qui est un choc pandémique) et les canicules, on observe une surmortalité de l’ordre de 60 000 personnes chaque année depuis 2020 (de l’ordre de 10%). Il y a donc une urgence sociale à atténuer les crises écologiques mais celles-ci ne pourront être atténuées qu’à la condition de reconnaître leur dimension sociale, à commencer par la question des inégalités. C’est précisément le sens de la transition juste que je défends dans ce policy brief.

 

 

 

La notion de transition juste est-elle compatible avec des objectifs de croissance économique ?

Elle propose de dépasser l’horizon de la croissance économique, qui n’est ni une réponse suffisante aux urgences sociales ni une réponse adéquate aux défis environnementaux. La meilleure preuve empirique de cette double insuffisance est que le PIB mondial n’a pas cessé d’augmenter ces trois dernières décennies (il a été multipliée par trois entre 1990 et 2020) tandis que les inégalités sociales explosaient au sein des pays et que les crises écologiques s’accéléreraient jusqu’à remettre en cause l’habitabilité de notre planète. La transition juste propose notamment de donner la priorité, dans la conception des politiques publiques, au bien-être humain dynamique éclairé par les enjeux de justice plutôt qu’à la maximisation de la croissance économique ; autrement dit, il convient de mener la transition juste dans le cadre d’une économie du bien-être définie comme le développement humain (santé, éducation, emploi) dans le cadre des limites planétaires. Il est capital que la COP 28 s’empare des notions de post-croissance, d’économie du bien-être et de transition juste.

Comment élargir le périmètre de la transition juste au-delà de la crise climatique ?

D’abord en l’élargissant aux chocs écologiques (canicules, sécheresses, inondations, etc.) afin de réduire les inégalités sociales qu’ils engendrent, autrement dit en ajoutant la logique de l’adaptation aux partenariats actuels qui visent avant tout l’atténuation de la crise climatique par le financement de la sortie progressive des énergies fossiles. Ensuite, en élargissant l’objet des partenariats de transition juste pour inclure la préservation des écosystèmes et de la biodiversité en lien avec le bien-être humain, dans une approche relationnelle et non instrumentale des ressources naturelles et des espèces non-humaines telle que promue par l’IPBES5. Enfin, en renforçant la dimension participative des politiques de transition juste en s’assurant en particulier du respect des droits des communautés indigènes tel que promu par la stratégie globale de la COP 15.

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