Me Amélie Robine, avocat : « Le projet MEDISAFE propose une approche globale pour lutter contre les faux médicaments »

print
Dans les pays en développement, un médicament sur dix est soit de qualité inférieure, soit falsifié, a estimé en 2017 l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Avocat et experte pour le projet MEDISAFE, Maître Amélie Robine revient sur les enjeux juridiques de la lutte contre ces faux médicaments en Afrique centrale et de l’Est.

Pourquoi s’intéresser aux médicaments sous l’angle juridique ?

Me Amélie Robine – Le médicament n’est pas un produit comme les autres : sa vente doit être encadrée pour des raisons de santé et de sécurité publiques. La crise sanitaire actuelle l’illustre très bien. Fin mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé alertait par exemple sur le « nombre croissant de produits médicaux falsifiés qui prétendent prévenir, détecter, traiter ou guérir le Covid-19 » et leurs potentiels effets secondaires.
 

Le médicament n'est pas un produit comme les autres


Cette tendance a été confirmée par Europol, l’agence européenne de police : fin mars également, celle-ci a annoncé que l’opération Pangea avait permis de saisir 4,4 millions de faux médicaments et d’arrêter 121 personnes liées à des groupes de criminalité organisée.

Comment lutter contre les faux médicaments ?

Me Amélie Robine  Il faut s’intéresser à la fois au volet préventif et au volet répressif. La réglementation pharmaceutique intervient en amont : plus elle est forte, plus l’Etat va pouvoir s’assurer que les médicaments commercialisés sont des médicaments de qualité. Un organisme public – l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en France – est chargé d’autoriser la mise sur le marché : il vérifie que le produit répond aux normes en vigueur, établit qui peut le délivrer... Une fois le produit commercialisé, cet organisme a un rôle de surveillance des effets indésirables et peut être amené à décider du retrait d’un produit jugé dangereux.

L’autre versant, c’est le droit pénal, en aval. Celui-ci prévoit des infractions en cas de non-respect de la législation pharmaceutique, qu’il s’agisse de trafic de médicaments, de commercialisation d’un médicament non autorisé ou contenant les mauvais principes actifs… Le droit pénal a une vocation répressive mais aussi dissuasive, grâce à l’existence de sanctions fortes (amendes ou emprisonnement).
 

S'inscrire dans ce balancier entre réglementation pharmaceutique et droit pénal


Pour bien fonctionner, un système de santé doit s’inscrire dans ce balancier entre réglementation pharmaceutique d’une part et droit pénal d’autre part – ce qui n’est pas le cas dans tous les pays. L’originalité de MEDISAFE, c’est d’ailleurs de combiner ces deux volets dans une approche globale de la problématique : en plus du renforcement de la réglementation pharmaceutique, il aborde la question du médicament sous un angle sécuritaire, avec une attention spécifique pour le droit pénal.

Qu’en est-il dans les pays partenaires de MEDISAFE, en Afrique centrale et de l’Est ?

Me Amélie Robine  Des missions conduites dans le cadre du projet MEDISAFE nous ont permis de rencontrer nos interlocuteurs et de faire un état des lieux du cadre législatif et juridique. Il ressort de l’analyse des données recueillies que les pays d’Afrique centrale et de l’Est doivent agir sur les deux volets, réglementaire et pénal.
 

La réglementation pharmaceutique est plus ou moins développée selon les pays


La réglementation pharmaceutique est plus ou moins développée selon les pays. Le Kenya, le Ghana ou encore l’Ethiopie disposent déjà de mesures fortes mais, dans d’autres pays de la région, la réglementation est plus embryonnaire et doit être renforcée. L’autre difficulté, c’est l’absence de législation pénale spécifique au médicament en général, et au faux médicament en particulier (fabrication, transport, vente…). En droit pénal, pour pouvoir engager des poursuites, le comportement répréhensible doit avoir été prévu par la loi. Il est toujours possible d’utiliser des dispositions d’ordre général – par exemple, l’interdiction de la falsification de documents – mais, pour être dissuasif, il est utile d’avoir une législation ciblée. De plus, les sanctions doivent être exemplaires, or elles sont souvent très faibles dans cette région, qu’il s’agisse des amendes ou des peines privatives de liberté. Par conséquent, le trafic de faux médicaments est aujourd’hui à la fois très lucratif et peu risqué pour les trafiquants.

Des initiatives ont-elles déjà été prises ?

Me Amélie Robine – Les situations et les enjeux sont différents selon les pays – un grand Etat aux multiples voisins comme la République démocratique du Congo est confrontée à plus de défis que le Malawi –, mais le faux médicament tue partout : les Etats africains se saisissent donc de cette question.
 

Plusieurs d'entre eux ont signé la convention MEDICRIME


Plusieurs d’entre eux ont récemment signé la convention MEDICRIME, un instrument juridique contraignant qui vise à harmoniser la définition des infractions pénales dans le domaine des faux médicaments et à mettre des outils à la disposition des Etats signataires pour lutter de manière plus efficace et coordonnée contre ce problème.

L’autre avancée, c’est la création de l’Agence africaine du médicament, dont le traité est signé et en cours de ratification. Cela comprend une « loi modèle », proposée par le Programme africain d'harmonisation des réglementations en matière de médicaments (AMRH), placé au sein du NEPAD. Cette loi modèle a pour objectif de faciliter l’harmonisation des politiques et de la réglementation pharmaceutique sur le continent Africain. Cette harmonisation est clé, car le trafic de faux médicaments est en grande partie transnational. Donc, si tous les pays ont la même base, cela facilitera les contrôles par la suite et permettra de limiter l’entrée de médicaments ne respectant pas les critères définis.

Quelles autres pistes privilégier pour aboutir à une réglementation et une surveillance efficaces du marché pharmaceutique ?

Me Amélie Robine – Au-delà du développement d’une législation adaptée, il faut intervenir à plusieurs niveaux et cela implique de mobiliser tout le monde, du patient au législateur.
 

Cela implique de mobiliser tout le monde, du patient au législateur


Tout d’abord, cela demande d’améliorer la connaissance de la législation : il faut que les services chargés de la surveillance du marché connaissent les textes qui peuvent être mobilisés pour lutter contre les faux médicaments. Pour cela, ils doivent bénéficier de formations.

Il faut également développer une meilleure coordination entre acteurs, car la lutte contre les faux médicaments est multidisciplinaire. Certains pays mettent en place des cellules interservices (autorités sanitaires, affaires étrangères, douanes, police…). La création de cellules spécialisées aux postes frontières est également utile pour effectuer des contrôles ciblés et faire remonter des informations si un lot douteux est identifié. Cela implique de mettre en place des processus pour organiser cette remontée d’information et s’assurer qu’elles parviennent aux bonnes personnes.

Comment cela est-il pris en compte dans le projet MEDISAFE ?

Me Amélie Robine – MEDISAFE propose une approche globale pour lutter contre les médicaments falsifiés ou de qualité inférieure, en s’articulant autour de trois piliers : prévention, détection et réponse.

Sur la base des diagnostics initiaux et de nos échanges avec les parties prenantes de chaque pays, nous proposons des activités adaptées aux besoins. Pour renforcer le cadre juridique, nous proposons par exemple un accompagnement aux Etats en train de mener une réforme législative dans le domaine du médicament (définition juridique du médicament, articulation avec la convention MEDICRIME…). Par exemple, entre juillet et septembre 2020, nous avons organisé des webinaires sur les réponses juridiques envisageables pour lutter contre le trafic de faux médicaments lié à la crise de Covid-19 – en attendant de pouvoir reprendre l’assistance technique sur place.

Cet accompagnement juridique s’articule avec les autres volets du projet : renforcement des capacités techniques de nos partenaires via des formations (détection des faux médicaments, etc.), développement de la coopération entre services, promotion de la coopération régionale et internationale, et enfin travail de sensibilisation à tous les niveaux – administrations, professionnels de santé et du droit, grand public.

 

Docteur en droit et avocat au barreau de Paris, Me Amélie Robine intervient en tant qu’expert juridique dans le projet MEDISAFE, financé par l’Union européenne et mis en œuvre par un consortium dirigé par Expertise France. Ce projet régional accompagne 11 Etats d’Afrique de l’Est et centrale (Burundi, Éthiopie, Ghana, Kenya, Malawi, Ouganda, République Démocratique du Congo, Rwanda, Seychelles, Tanzanie et Zambie) dans le renforcement de leurs dispositifs de prévention, de détection et de riposte face aux médicaments de qualité inférieure ou falsifiés.
 

Cette interview est extraite du dossier thématique « Disponibilité, accessibilité, qualité : trois enjeux pour le médicament en Afrique ».

 

Dernières publications