David Hotte : « Rendre plus opérationnels les mécanismes pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme »

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La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (dite LAB/FT, ou CFT/AML, pour combating the financing of terrorism and anti-money laundering) est une priorité européenne. En parallèle, l’Union européenne (UE) finance des projets pour appuyer les Etats listés dans l'amélioration de leurs outils de lutte contre les flux financiers illicites. Parmi eux, un dispositif d’assistance technique CFT/AML globale, dont David Hotte est le chef d’équipe.

Pourquoi s'intéresser aux aspects financiers de la criminalité et du terrorisme ?

David Hotte – La réponse est simple : derrière tous les types de criminalité – drogues, armes, êtres humains, biens culturels… –, il y a des flux financiers. Les identifier et les neutraliser permet de lutter contre les groupes criminels et/ou terroristes en limitant leur capacité opérationnelle. Pour cela, il faut être en mesure de tracer l'argent qui sert à financer leurs activités, qu’il soit d’origine illicite ou non. C’est d’ailleurs la grande différence entre le blanchiment d’argent (auquel cas l’argent provient nécessairement d’une activité criminelle) et le financement du terrorisme (qui, pouvant parfois venir d’activités licites, rend plus difficile sa détection).

Quelle sera la priorité de l’assistance technique CFT/AML ?

David Hotte – Aider les Etats à passer de la théorie à la pratique, en rendant plus opérationnels les mécanismes déjà existants sur le papier. Une grande majorité de pays ont mis en place des cellules de renseignement financier (CRF), dont le rôle est de recueillir, parfois analyser puis diffuser de l’information financière. C'est la suite, c’est-à-dire le volet pénal et répressif, qui est souvent moins efficace. Par exemple, l'obligation qu’a une banque d’émettre une déclaration de soupçon à l’égard de certaines transactions ne garantit pas forcément son traitement effectif par les services concernés de l'Etat.

Et même quand l'information est traitée, une autre difficulté surgit : la différence d'espace-temps entre une enquête criminelle classique et une enquête financière. L'enquête criminelle s’arrête, en principe, au moment de l’arrestation et/ou de la saisie. L'enquête financière, elle, ne fait souvent que commencer. Pour la mener, il faut des enquêteurs spécialisés dans la criminalité financière car cela demande des compétences spécifiques, d’analyse financière par exemple. Il faut aussi des gens très motivés, car l’enquête dure plusieurs années.

Comment pallier ces difficultés ?

David Hotte – Pour obtenir des résultats, il faut sensibiliser et renforcer l'ensemble de la chaîne pénale sur les sujets financiers, à la fois sur le plan de la formation et des outils : le recueil de renseignement pur et dur, les enquêtes policières, l’administration de la preuve, les condamnations et le recouvrement des avoirs. Il est également important d’accroître la coordination entre les différents services à la fois au sein des États et entre États. Car les groupes criminels et terroristes, eux, ne s'arrêtent pas aux frontières.

Pour répondre aux besoins, il nous faut être à l’écoute des pays, trouver des solutions innovantes et réagir vite. C'est d'ailleurs tout l'intérêt d'avoir une équipe composée de spécialistes – en renseignement, services d'enquête, justice, ONG... – qui connaissent de très près les contraintes opérationnelles.

Quel rôle jouent les ONG et plus largement le secteur privé dans la lutte CFT/AML ?

David Hotte – Les ONG et le secteur caritatif sont parfois un canal utilisé pour les transferts d’argent blanchi ou servant à financer le terrorisme. Certaines recommandations internationales, comme celles du Groupe d'action financière (GAFI), concernent donc spécifiquement les organisations de la société civile : cela doit permettre à la fois de les protéger et les responsabiliser. La présence d'un spécialiste ONG dans l'équipe du projet sera un atout.

Au-delà des ONG, l'implication du secteur privé est essentielle : les cellules de renseignement financier tirent leurs informations des déclarations de soupçon émises par des organismes assujettis aux obligations LAB/FT en raison de leur capacité à leur détecter des flux potentiellement illicites (professions financières et non financières).

Le projet, financé par l'UE, est mis en oeuvre par Expertise France en partenariat avec des organismes issus d’Etats membres (France, Royaume-Uni, Italie, Allemagne, Danemark, Belgique). Quel intérêt cela représente-t-il pour les Etats appuyés ?

David Hotte – Cette mobilisation européenne a un intérêt à la fois qualitatif et quantitatif. Historiquement, l'Union européenne et ses Etats membres ont une pratique d’encadrement de certaines pratiques économiques, par le développement de normes et d'institutions adaptées : cette expertise pourra donc être utile. Et le nombre d’experts est multiplié par le nombre d'Etats membres. L’accès aux viviers nationaux d'expertise publique nous permettra de mobiliser des compétences professionnelles variées, dans n’importe quelle langue, pour répondre aux besoins des Etats demandeurs.

Quelles sont les prochaines étapes pour le projet ?

David Hotte – A ce stade du projet, nous finissons notre phase de démarrage, qui nous permettra de finaliser notre stratégie d’intervention. Cependant, notre assistance technique a déjà commencé à l’Ile Maurice ainsi qu’en Tunisie, qui accueillera en décembre un événement dédié à la lutte CFT/AML appliquée au trafic d'êtres humains. En attendant, le projet participera au Forum de Paris pour la Paix 2019, avec l'organisation d'une table ronde le 13 novembre sur financement du terrorisme et trafic de biens culturels.

 

Table ronde : « Renforcer les partenariats contre le trafic de biens culturels et le financement du terrorisme qui en résulte »

Quand ? Mercredi 13 novembre, 13H-13H45
Où ? Agora 3
 

En savoir plus : Expertise France au Forum de Paris pour la Paix 2019

 

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