Migrations : les défis d’une gouvernance globale

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En 2015, les Nations unies recensaient 244 millions de migrants internationaux. C’est trois fois plus qu’il y a quarante ans. Mais alors que ces flux migratoires augmentent, les droits d’entrée dans les pays d’accueil rétrécissent. Le 12 septembre, Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CERI et spécialiste des migrations internationales, était l’invitée d’Expertise France pour le premier Rendez-vous de l’Expertise de la rentrée. Selon elle, les États doivent affronter ensemble cette dangereuse contradiction qui les concerne tous.

Un monde de mobilité

La réalité des flux migratoires est de plus en plus complexe : la moitié va désormais vers le Sud et de nombreux déplacements sont intrarégionaux.

Les migrants d’aujourd’hui ont des profils différents et les raisons de leur départ sont diverses. Parmi eux, on trouve des réfugiés et des demandeurs d’asile qui ont fui des pays dans lesquels leur sécurité était menacée au quotidien : on pense notamment à l’Afghanistan, à la Libye ou à la Syrie. D’autres sont à la recherche d’opportunités économiques : de nombreux travailleurs philippins du secteur de l’aide à la personne viennent par exemple chercher un emploi dans des pays d’Europe ou d’Asie, où la population vieillit.

En parallèle, le nombre de déplacés environnementaux ne cesse d’augmenter du fait du changement climatique. On en recense aujourd’hui près de 42 millions dans le monde. Parmi eux, 17 millions ont été contraints de quitter leur pays d’origine. C’est notamment le cas des populations du delta du Gange, au Bangladesh, chassées par des inondations rendues de plus en plus fréquentes par la fonte des glaciers de l’Himalaya.

Enfin, pour de plus en plus de jeunes du Nord comme du Sud, diplômés et urbains, la mobilité devient une véritable option de vie : étudier ou travailler à l’étranger apparaît de plus en plus comme un droit, à exercer librement ou à conquérir.

Des frontières sous tension

Dans ce contexte de mobilité contrainte ou choisie toujours plus forte, de nombreux pays d’accueil optent pour un durcissement de leurs droits d’entrée. Catherine Wihtol de Wenden l’explique par le souci de rassurer l’opinion publique, qui tend à percevoir l’immigration comme une menace.

« Cette vision court-termiste nous enferme dans des ornières, regrette-t-elle. Les mêmes politiques se répètent depuis trente ans et échouent invariablement à résoudre la question migratoire ». Les frontières sont devenues des zones de tension : il n’y a jamais eu autant de morts aux frontières et l’économie du passage clandestin prospère.

Catherine Wihtol de Wenden appelle à une prise de conscience collective. « Comme le Japon ou les pays du Golfe, l’Europe peine à assumer la position de pôle migratoire qu’elle occupe aujourd’hui. Pour agir positivement dans le long terme, le premier pas serait d’accepter cette réalité. »

Harmoniser et universaliser le droit à la mobilité

En 2004, Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations unies, a initié une discussion multilatérale sur les migrations, convaincu qu’elles pourraient devenir un important levier de développement. Cela a donné naissance en 2006 au Forum mondial sur la migration et le développement. Tous les ans, ce forum rassemble États et acteurs de la société civile (ONG, syndicats, entreprises, experts…) autour d’une problématique commune : comment faire de la mobilité un phénomène triplement gagnant, à la fois pour les migrants, pour leur pays d’origine et pour leur pays d’accueil ?

Pour Catherine Wihtol de Wenden, une gouvernance mondiale des migrations impliquerait d’abord de s’accorder sur des normes minimales, valables pour tous, partout. Il s’agit de résoudre de nombreuses situations de non-droit en définissant un statut pour les apatrides, les déplacés environnementaux, les mineurs migrants non accompagnés, les déboutés du droit d’asile…

D’autres évolutions sont nécessaires, à commencer par le renforcement des espaces régionaux de libre circulation tels que l’Union européenne, l’ASEAN ou la CEDEAO. « L’idéal serait que ceux qui choisissent la mobilité aient autant de droits que ceux qui souhaitent vivre de manière sédentaire, d’où qu’ils viennent et où qu’ils aillent », résume-t-elle.

Les migrations, un enjeu transversal

Selon Catherine Wihtol de Wenden, rien n’évoluera sans une vision transversale des migrations. « Il est impératif de placer les migrations au cœur des questions de politique étrangère et de développement, car les phénomènes mondiaux sont interdépendants. »

Pour le moment, le sujet semble rester périphérique sur la scène internationale. Quoique organisé dans le cadre onusien, le Forum mondial sur la migration et le développement est en effet un processus informel, mené par les États sur une base volontaire. Aujourd’hui, l’enjeu principal est l’institutionnalisation d’une conférence mondiale au sein des Nations unies, conclut Catherine Wihtol de Wenden.

 

Retour en vidéo sur l'interview de Catherine Wihtol de Wenden :

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