Autisme : l’Algérie mobilisée pour une meilleure prise en charge

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Algérie
L’autisme est un trouble dont les conséquences peuvent être lourdes, à la fois pour les personnes atteintes, les familles et la collectivité. Lancé fin 2018, le projet Autisme PROFAS C+ est un projet de coopération institutionnelle entre l’Algérie et la France qui appuie la mise en place d’un dispositif national coordonné médico-social de dépistage, de diagnostic et de prise en charge de l’autisme en Algérie. A l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, le Pr Mohamed Chakali et l’expert Saïd Acef reviennent sur les enjeux et les actions que le projet accompagne.

Sous-directeur de la Promotion de la santé mentale au sein du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière (MSPRH), le Pr Mohamed Chakali est psychiatre et point focal pour le projet Autisme PROFAS C+.

Mobilisé en tant qu’expert sur le projet, Saïd Acef est directeur délégué à l’autonomie au sein de l’Agence régionale de santé (ARS) Nouvelle Aquitaine et ancien conseiller ministériel en charge du handicap (2014-2016), notamment en charge du 3ème Plan autisme 2013-2017. Dans le cadre du projet, il travaille avec Ghislain Magerotte, docteur en psychologie, professeur à l’Université de Mons (Belgique) et président d'honneur de la Fondation SUSA (Service universitaire spécialisé pour personnes avec autisme).

Pr Chakali, quelles raisons ont conduit à la mise en place de ce projet sur le dépistage, le diagnostic et la prise en charge de l’autisme en Algérie ?

Pr Mohamed Chakali – Ce projet est né d’une préoccupation que mon ministère partage avec les familles, les associations et les professionnels de santé. Nous sommes confrontés à trois enjeux majeurs. Tout d’abord, celui de l’importance de la prévalence de l’autisme : en 2015, sur la base de la prévalence moyenne dans le monde, on estimait à environ 400 000 le nombre de personnes atteintes de troubles du spectre autistique (TSA) sur une population de 41 millions d’habitants.

Le deuxième enjeu est lié à la trop grande rareté des structures et des équipes formées sur ces sujets. Dans les grands centres urbains comme Alger, Constantine ou Oran, il existe déjà certains dispositifs. Mais il y a aussi des régions et des populations isolées : elles sont confrontées à des difficultés en matière de diagnostic et de prise en charge des TSA, malgré le dynamisme d’associations locales. Pour répondre à leurs besoins, notre défi sera de recruter et former des personnels de santé sur le diagnostic et la prise en charge.
 

Les troubles du spectre de l'autisme (TSA) doivent être répérés le plus tôt possible


Enfin, le troisième enjeu est celui de l’information et de la sensibilisation des parents sur le sujet de l’autisme, car, pour être pris en charge efficacement, les TSA doivent être repérés le plus tôt possible. Sur tous ces sujets, il nous semble que l’Algérie pourrait tirer profit des expériences étrangères, et c’est pour cette raison que nous avons sollicité un appui, qui a conduit à la mise en place du projet Autisme PROFAS C+.

Quelles sont vos priorités d’action sur le sujet ?

Pr Mohamed Chakali – Nous avons déjà engagé une démarche pour favoriser le dépistage des TSA, notamment avec la mise en place d’un cycle de formation. Assurée par des pédopsychiatres, cette formation s’adresse aux médecins et autres personnels de la protection maternelle et infantile (PMI) qui travaillent au sein d’établissements publics de santé de proximité (EPSP). Ce sont eux qui sont en première ligne pour dépister l’autisme sur l’ensemble du territoire. Aujourd’hui, notre attention est donc concentrée sur le diagnostic et, encore plus, sur la prise en charge.
 

Recruter et former des spécialistes sur tout le territoire


Le diagnostic ne peut être posé à la légère : il doit être effectué par un professionnel de santé qualifié, sur la base d’outils et de méthodes de diagnostic à l’utilisation desquels il a été formé. Notre priorité est de recruter et de former des spécialistes sur ce sujet, sur tout le territoire. Nous souhaitons aussi organiser un système de référence et de contre-référence pour que, en cas de doute, ils puissent solliciter l’avis d’un pédopsychiatre : cela devra leur permettre d’affiner leur diagnostic sans demander au patient de se déplacer.

Par ailleurs, il existe d’importants besoins en matière de prise en charge. Cela demandera d’adapter notre dispositif (programmes éducatifs adaptés, accompagnement des familles…). A titre d’exemple, les centres de formation professionnelle ne sont aujourd’hui pas ouverts aux adolescents souffrant de TSA : il serait intéressant de faire évoluer la réglementation pour leur permettre d’accéder à ce type de formation et ainsi favoriser leur intégration professionnelle et sociale.

Avec qui travaillez-vous pour améliorer le diagnostic et la prise en charge ?

Pr Mohamed Chakali – Le sujet est complexe car la question de l’autisme est multidisciplinaire et multisectorielle. Pour réfléchir collectivement, nous avons créé en 2016 le comité national intersectoriel de l’autisme (CNIA), qui réunit les ministères concernés (santé, éducation et solidarité nationale ainsi que l’enseignement supérieur et la formation professionnelle), les professionnels de santé et les associations de parents d’enfants atteints de troubles de l’autisme.
 

La question de l'autisme est multidisciplinaire et multisectorielle


Ces associations sont des partenaires clés. Elles ont une fonction de sensibilisation des parents, mais aussi d’intermédiaire avec les pouvoirs publics car elles remontent les préoccupations et les besoins constatés sur le terrain. Certaines ont également mis en place des centres d’accompagnement, par exemple pour la scolarisation ou les soins aux enfants atteints d’un TSA. Le rôle de l’Etat, dans ce cas-là, est d’encadrer ces dispositifs : nous travaillons pour que la prise en charge soit faite dans le respect de la réglementation et dans les meilleures conditions possibles pour les patients.

Par ailleurs, afin de nous appuyer dans la conception de notre futur Plan autisme, les experts Saïd Acef et Ghislain Magerotte réalisent actuellement une mission d’expertise pour évaluer les conditions de prise en charge médico-psychologique, sociale et éducative des personnes avec autisme. Leurs recommandations pourront nous éclairer sur les mesures à développer.

Saïd Acef, vous avez débuté cette évaluation en début d’année 2020 en binôme avec Ghislain Magerotte. Quelles sont vos principales recommandations à ce stade ?

Saïd Acef – Comme l’a indiqué le Professeur Mohamed Chakali, nous menons avec le Professeur Ghislain Magerotte une mission d’appui dont les objectifs sont de porter un regard distancié sur les modalités actuelles d’interventions éducatives et thérapeutiques auprès des enfants avec autisme et le soutien apporté à leur famille. Il est encore trop tôt pour établir des recommandations car nous n’avons pas encore fait rencontrer toutes les parties prenantes dans les différents territoires du pays.

 

La représentation générale et sociale de l'autisme nécessite d'être rediscutée


Pour autant, des lignes de force se dégagent déjà. En toile de fond, nous faisons le constat que la représentation générale et sociale de l’autisme dans la population générale mais aussi auprès de nombreux professionnel des différents secteurs d’intervention (éducation, solidarité…) nécessite d’être rediscutée à la lumière des modèles de compréhension issus des connaissances scientifiques. Les équipes expertes rencontrées ainsi que les associations de familles très engagées ont pu nous en faire part : l’autisme est souvent identifié comme un trouble du comportement avec toutes les limitations que cela peut entraîner en termes d’accès à l’école ordinaire, aux activités classiques avec les autres enfants.

 

Insister sur le renforcement des compétences éducatives des parents


Secondairement, et comme dans tous les pays, nous souhaiterions insister sur le soutien, la guidance et le renforcement des compétences éducatives des parents, et ce dès les premières étapes de leur parcours lorsqu’ils découvrent les difficultés de leur enfant et s’engagent vers le diagnostic puis la mise en place des interventions spécialisées. Il y a un réseau très important, très mobilisé du côté des associations de famille. Il y a aussi un rapport de confiance important avec le réseau d’experts et en premier lieu du côté des services universitaires de pédopsychiatrie. C’est un atout formidable sur lequel on doit pouvoir élaborer des programmes d’éducation de type « école des parents » en cohérence avec un parcours de diagnostic et d’interventions précoces coordonné. C’est la clé d’un pronostic évolutif favorable pour l’enfant et de réduction du fardeau porté par les parents. Cette prise par la main des familles nécessiterait également de constituer une forme de guichet unique d’informations et de ressources dans les différents territoires.

Enfin, et de toute évidence, il y a l’enjeu majeur des structures plus ou moins spécialisées, des pratiques professionnelles tant dans les différents secteurs de l’éducation, de la solidarité et de la santé. Nous avons rencontré des professionnels engagés, volontaires, des responsables des administrations à l’écoute et déterminés à faire avancer les choses. Pour cela, il nous paraît clair que des programmes de formation initiale et continue doivent pouvoir être déployés à grande ampleur. Ils sont nécessaires mais pas suffisants. Il conviendra probablement d’y associer de la supervision des pratiques, un contrôle de la qualité des structures et des pratiques par l’Etat. Osons dire également que les compétences et moyens humains actuellement positionnés au sein des structures de la solidarité ont un potentiel d’évolution très important sur lequel nous ferons des propositions.

Plus largement, comment les activités prévues dans le cadre du projet contribueront-elles à appuyer le ministère de la Santé ?

Saïd Acef – Outre les différentes recommandations que nous ferons, nous espérons que les activités mises en œuvre permettront également d’agir sur les cadres institutionnels entre les différents ministères. Par exemple, on a pu voir combien les secteurs de l’éducation et de la solidarité ont entre leurs mains la clé d’une transformation majeure des parcours de vie des enfants avec autisme. Les structures de la solidarité doivent, sous réserve d’une montée en compétences, pouvoir mieux intervenir au sein des écoles ordinaires allant au-delà des classes spécialisées que nous avons pu visiter. C’est également le cas de l’articulation avec le secteur de la santé ; c’est un pivot du système actuel de prise en charge sur qui repose de lourdes responsabilités. Cette expertise sanitaire est en pleine structuration via notamment la création récente de la filière de pédopsychiatrie. Nos activités pourront donc permettre, nous l’espérons, de constituer des filières d’excellence en matière d’autisme et de troubles du neuro-développement chez l’enfant.
 

Il existe de véritables savoir-faire en Algérie, il faut capitaliser dessus


Plus globalement, d’autres cadres institutionnels pourraient être impactés par le programme Profas C+. La création d’un site officiel Internet de ressources est essentielle venant ainsi relayer les bonnes informations sur l’autisme et sur les services existants. La constitution de réseau de formateurs, d’experts de haut niveau venant compléter les équipes actuelles et surtout réduire la dépendance des professionnels, familles auprès de formateurs étrangers. Il y a de véritables savoir-faire en Algérie, il faut capitaliser dessus.

En quoi l’expertise européenne en la matière pourra-t-elle être utile ?

Saïd Acef – L’expertise européenne, en France et en Belgique notamment, nous permet d’abord d’apprendre des erreurs commises, des manques et retards ces deux pays connaissent encore. C’est donc avec humilité que nous allons à la rencontre de nos collègues et des partenaires algériens. Pour autant, nous pouvons éclairer le chemin à partir de plusieurs retours d’expérience européenne. Tout d’abord, l’importance d’aboutir à un consensus scientifique, politique et social sur l’autisme. Cela passe par l’élaboration de recommandations de bonne pratique professionnelle fondée sur un état des connaissances actualisé. La Belgique, la France, l’Angleterre ont procédé ainsi. C’est un socle nécessaire pour bâtir une politique publique durable.
 

L'autisme, c'est d'abord une question d'inclusion sociale et scolaire


Il y a ensuite l’investissement essentiel sur le triptyque « détection, diagnostic et interventions précoces » incluant le soutien parental. Il en découle l’importance de reconnaître et renforcer le rôle, la représentation et la légitimité des associations représentatives des personnes et des familles. Enfin, et nous aurions probablement dû commencer par là, si l’autisme est une affaire de spécialistes c’est d’abord et toujours une question d’inclusion sociale et scolaire, de valorisation des rôles sociaux. De sorte qu’il faut, aussi vite que possible, engager le renversement de perspective que la plupart des pays a mis en œuvre en créant un secteur spécialisé, à côté voire à part de la vie ordinaire. Cela ne se déconstruit pas en un jour mais in fine, il n’y a pas d’autres chemins. La France a pris de longs détours avant de prendre ce chemin de l’école ordinaire, de l’emploi en milieu ordinaire de travail, d’habitat communautaire. Le retour sur investissement social d’une telle politique inclusive est aisément démontrable et démontré.

 

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