Intelligence artificielle : accompagner les pays partenaires vers un futur inclusif et durable

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Au Sénégal, au Rwanda, ou au Vietnam, l’intelligence artificielle, et ses usages en matière de lutte contre les inégalités, le réchauffement climatique, et en faveur de la santé, font déjà partie intégrante des politiques nationales de développement technologique. A l’occasion d’un événement haut niveau en format groupe AFD tenu au Campus Cyber de La Défense à Paris le 26 mars dernier, l’agence a pu porter ses réflexions sur les enjeux et perspectives de l’intelligence artificielle dans le monde et engager le dialogue de co-construction d’une stratégie IA à venir auprès des dirigeants, du secteur privé et des entrepreneurs de ses pays partenaires.

Dans un contexte où l'intelligence artificielle (IA) transforme de nombreux secteurs tels que l'éducation ou l'agriculture, tout en soulevant des défis éthiques et techniques à l'échelle mondiale, sa prise en compte dans les programmes d’appui au secteur de l’innovation sur le continent africain notamment revêt une importance cruciale dans l’engagement de l’Union européenne dans le développement de partenariats multiacteurs autour de l’IA, ouvrant de nouvelles perspectives à travers l’éventail du Global Gateway.
Aujourd’hui, Expertise France, aux côtés de ses homologues européens, accorde une part toujours plus structurante aux acteurs de l’IA et des nouvelles technologies des pays accompagnés afin d’adopter une approche holistique des retombées liées à son utilisation.

 

 

Une conférence multipays au service d’une réflexion conjointe

 

L’Intelligence artificielle comme catalyseur de la transition juste

 

A l’occasion de cette journée de débats, de nombreux intervenants ont pu partager leur vision de l’IA et des perspectives d’avenir qu’elle ouvre. Reina Otsuka, prenant la parole au nom du Programme de développement des Nations Unies, a notamment donné des exemples d’usage de l’IA comme outil de lutte contre les atteintes à l’environnement, en particulier au niveau des zones côtières par la surveillance des littoraux, et du trafic maritime.

Darlington Akogo, directeur général de minoHealth AI Labs au Ghana, a quant à lui abordé une autre thématique cruciale dans l’application durable de l’IA : « Nous aidons les agriculteurs à mieux gérer les récoltes et à lutter contre les maladies des cultures dues au dérèglement des saisons via l’utilisation de drones qui analysent les cultures, et donnent des infos sur la santé du maïs par exemple. Toutes ces données sont analysées et permettent d’atteindre de meilleurs rendements et une croissance plus soutenable pour les petits producteurs notamment. »

 

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Ambitions mondiales en matière d'IA : lacunes, attentes et promotion d'une meilleure coopération

 

Le développement de l’IA constitue une nouvelle approche de la coopération menée entre les pays du Sud, et auprès des partenaires historiques, afin de garantir son usage et des retombées pérennes notamment en Afrique. Aissatou Jane Ndiaye, directrice des TIC au ministère de la communication, des télécommunications et de l’économie numérique du Sénégal, plaide à cet égard pour des politiques publiques plus centrées sur les citoyens, afin de s’attaquer au chômage et à l’analphabétisme numérique. En articulant l’action au niveau national et local, le Sénégal se place à ce titre en pointe sur le sujet de l’innovation/recherche en appuyant un esprit d’entreprise essentiel.

L’enjeu est double : à la fois garantir une IA éthique, et promouvoir des modèles de coopération pour se placer en leader de ces nouveaux pans technologiques.

C’est ce que prône également Lacina Koné, directeur général de Smart Africa, plateforme multipartite rwandaise. Pour lui, l’IA est une excellente opportunité de création en Afrique. De création d’emploi d’abord, car il ne s’agit pas de détruire des emplois mais bien d’en créer

En santé, dans l’éducation, dans tous les secteurs économiques, il s’agit de 230 millions d’emplois pour les jeunes d’ici 2030, au sein d’un continent qui compte 1,4 milliards de personne de moins de 30 ans (Afrique subsaharienne).
« L’Afrique a besoin d’une harmonisation des politiques à toutes les échelles : ONG, société civile et gouvernements. Il faut revoir la manière d’implémenter les transformations numériques au sein du fonctionnement même des mécanismes gouvernementaux et pour une meilleure inclusion à chaque particularisme national. Il faut également une continuité avec le secteur privé pour une IA durable. C’est une priorité pour le continent que de donner le goût aux jeunes de s’engager dans cette voie, et cela passe, à la racine, par un investissement de l’IA dans l’éducation, pour leur inculquer une appétence pour ces sujets, et pour avant tout leur donner les moyens de se former plus efficacement » a-t-il pu développer.

 

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Garantir une IA pour tous

 

Prendre en compte la richesse des langues et des cultures dans ce défi numérique

 

Un des sujets majeurs du futur déploiement de l’IA et de la prise en compte de ces technologies dans les politiques de développement est la question de l’usage des langues, et la barrière linguistique que doivent prendre en compte tous les acteurs engagés dans le déploiement de l’IA.
Cette question d’une IA pour tous, et ce fut un fil rouge de la journée du 26 mars, revient à lutter contre la fracture numérique en prenant en compte toutes les langues. Cet enjeu se retrouve notamment au niveau des outils de traduction concernant des langues rares ou éloignées de l’anglais.

Assaitou Jane Ndiaye a notamment alerté sur la difficulté de mobiliser des agriculteurs (exemple parmi d’autres), dont la langue n’est ni le français ni l’anglais.

Pour Lacina Koné, c’est en effet un enjeu, notamment dans les programmes de développement mis en œuvre sur cette thématique. En Afrique, plus de 350 millions de personnes s’expriment dans des langues locales, en marge des langages usités par les programmes actuels d’IA. La question est ainsi de savoir comment leur donner plus de place à l’avenir. 

Sid Ravinutala, IDinsight, a à plusieurs reprises illustré ce propos en prenant l’exemple phare de l’Inde qui a réussi à développer des modèles plus inclusifs à travers l’étude des langues en partenariats avec un ensemble d’universités : « Une organisation en Inde collecte des corpus linguistiques grâce à des enregistrements et cela met en valeur la richesse des langues et les démocratise au sein des GenAI. Cela a permis de déboucher sur un modèle pan-indien qui fonctionne dans toutes les langues grâce au travail commun avec des universités partenaires. Ce modèle est réplicable au Nigeria par exemple ».

Mais l’extension à toutes les langues des IA n’est pas forcément réalisable et judicieuse suivant le type d’application. François Yvon, directeur de recherche au CNRS, s’est appuyé sur un exemple fourni par Sid Ravinutala au sujet de l’usage des modèles en swahili dans le cadre des politiques de santé maternelle au Kenya, pour rebondir sur la pertinence d’un déploiement généralisé : « Cela fonctionne bien dans ce cas présent, mais justement, dans certains cas le swahili n’est pas pris en compte malgré l’audience et il s’agit de financements conséquents à déployer et il faut se poser la question des priorités de financements pour certains pays et certaines entreprises – est-ce que l’école, tout simplement, n’est pas la priorité avant toute chose ? »

 

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L’innovation par l'IA : moteur pour les secteurs public et privé

 

Samar Sobeih, membre de l’Observatoire sur l’IA de l’OCDE, et responsable des partenariats au Ministère égyptien des TIC, est revenue sur la complémentarité du secteur privé et du secteur public : « les partenariats public-privé permettent de faire progresser l’innovation en capitalisant sur les enjeux et les intérêts des deux secteurs, ils sont complémentaires. Le privé offre des financements et son expertise et le public ouvre le champ réglementaire, participe du développement des partenariats à l’échelle nationale. Il convient de réunir les start-up, les universités, et la recherche, pour tendre vers une IA plus éthique et plus stable »

Agnès Leersnyder, directrice générale de Future4Care, a souligné l’importance de l’innovation par l’IA dans le secteur de la médecine. Future4Care, qui a été créé entre autres par Sanofi et CapGemini, est parti du postulat que le marché de la santé numérique manquait cruellement d’innovation.
Pour elle : « Il existe toujours un problème qui est la peur de l’innovation, et surtout de l’usage des données. L’adoption des nouvelles technologies et des innovations est ainsi compliquée. Il est crucial de faire appel à des experts pour face à la concurrence et cultiver cet esprit d’innovation. Aujourd’hui nous travaillons avec 50 start-ups, et 7 nouveaux partenaires, tous engagés dans et pour l’IA. Elle permet de réduire le coût de la R&D et d’améliorer l’accès aux médicaments appropriés en reproduisant par exemple les effets d’une molécule sur tel ou tel corps suivant ses caractéristiques, c’est fascinant. »

Cette question de l’innovation, Paul Duan, co-fondateur de Bayes Impact, la juge essentielle, mais à bien cadrer. « L’innovation c’est bien, mais une fois que les entreprises réussissent, il faut savoir implémenter durablement ces nouveaux systèmes dans leur fonctionnement. Par ailleurs, il faut mettre à profit sa passion et savoir être ouvert et travailler en collaboration pour ne pas que les innovations se heurtent à des chasses gardées dans certains secteurs comme dans l’alimentaire. »

Une passion, un engagement, aussi marqué au sein des universités comme l’a rappelé Lawrence Nderu, responsable du département informatique de l’Université Jomo Kenyatta : « Il faut accompagner les idées bouillonnantes des étudiants dans l’IA pour créer des entreprises et pour qu’elles perdurent. Y lier des partenariats, une incubation réussie, un soutien nécessaire. »

 

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Un Advisory Group pour construire des partenariats durables entre le groupe AFD, l’Europe, et les pays partenaires

 

En conclusion de cet événement de haut niveau, Lacina Koné, directeur général de Smart Africa, s’est montré confiant quant à l’avenir de l’IA et à son déploiement auprès de tous les pays africains, malgré de nombreux défis autant éthique que stratégiques : « L’IA pour la durabilité et l’inclusion, avec ambition et dans le respect des règlements. Mais où allons-nous ? Cette question doit nous orienter, nous guider, et nous encourager à établir des bases solides. Il nous faut vraiment développer le concept d’IA multi-langage pour combler les lacunes actuelles et cette fracture numérique. En Afrique, comme en Europe, un leapfrog (saut d’une technologie à une autre beaucoup plus avancée sans passer par les étapes intermédiaires) est nécessaire pour redevenir leader sur les nouvelles technologies, et cela passe par la coopération entre l’UE, le D4D Hub, et les partenaires africains… »

 

« Nous allons apporter du concret à ces discussions en lançant un Advisory group aux côtés d’Expertise France, qui engagera également l’ensemble des parties prenantes du continent pour travailler à une IA durable et éthique, car on ne traverse pas seul une rivière sans finir par être mangé par le crocodile » a-t-il in fine lancé, non sans un trait d’humour, pour engager une poursuite de la coopération entre l’Europe et l’Afrique.

 

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