Gestion des déchets en partenariat public-privé au Brésil : vers un nouveau cadre de régulation

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Brésil

Expert en gestion des déchets, James Miralves a contribué à une étude proposant un nouveau cadre de régulation des partenariats public-privé (PPP) en matière de gestion des déchets au Brésil. Ce domaine, qui relève de la compétence des municipalités, est l’un des domaines prioritaires du projet d’appui au développement des PPP au sein des municipalités brésiliennes, dans le cadre duquel cette étude a été menée. Financé par l’Agence française de développement (AFD), le projet est mis en œuvre par Expertise France.

Quels défis rencontre le Brésil en matière de gestion des déchets ?

James Miralves – En août 2010, le Parlement brésilien adoptait la loi 12.305 sur les déchets solides afin d’améliorer leur gestion sur tout le territoire. Cette loi est articulée autour des « 3R » : réduction, réutilisation et recyclage. La mise en décharge n’est envisagée que pour les déchets non valorisables. L’objectif fixé par la politique nationale est d’atteindre un taux de recyclage supérieur à 30 % des déchets solides en 2030.
 

Le recyclage ne concerne que 2 à 5% des déchets


Aujourd’hui, on estime que le recyclage ne concerne que 2 à 5 % des déchets. Il faut noter que le taux exact est inconnu, car la collecte et le tri ont été délégués dans les années 2000 aux coopératives des recycleurs de rue, les catadores. C’est un modèle qui a souvent été privilégié dans les pays émergents pour favoriser l’inclusion sociale et l’emploi, mais il n’a pas été organisé de façon à faire remonter de l’information sur le taux de recyclage.

Toujours est-il que, si l’on part de cette estimation, cela signifie qu’au moins 95 % des déchets ménagers ne sont pas valorisés, ce qui est énorme. De plus, la moitié d’entre eux sont enfouis dans des décharges non conformes, c’est-à-dire non autorisées et/ou ne respectant pas les normes de protection de l’environnement (système de pesée des déchets entrants, récupération des gaz qu’ils émettent…). L’autre moitié est traitée dans des décharges conformes aux textes réglementaires, donc sans dommages directs pour l’environnement et la santé, mais ils ne sont pas pour autant recyclés. L’enjeu est donc là : dix ans après son adoption, la loi n’est pas respectée.

Comment expliquer que cette loi ne soit pas respectée ?

James Miralves – Deux raisons principales : l’absence de budget et l’absence de régulation contraignante. Au Brésil, la gestion des déchets relève des municipalités. Mais, dans un contexte de crise économique qui se prolonge depuis 2015, ces dernières sont endettées. En l’absence de taxe sur les ordures ménagères, elles ont du mal à financer les infrastructures nécessaires et, même, parfois, à payer les coûts d’exploitation associés. Car le service des déchets, financé sur le budget général, n’est pas prioritaire face aux dépenses de santé, d’éducation ou de traitement des eaux.
 

Le gouvernement a souhaité mobiliser les investissements privés dans le cadre de PPP


Face à cette situation qui choque de nombreux Brésiliens, le gouvernement fédéral a souhaité mobiliser les investissements privés dans le cadre de partenariats public-privé (PPP) pour pallier les difficultés techniques et financières existantes. Ce n’est pas à lui de passer ces marchés de PPP pour les 5 570 municipalités brésiliennes, mais il doit encadrer leurs pratiques en leur proposant un cadre de régulation dans lequel s’inscrire lorsqu’elles signent un contrat de PPP. Faire des recommandations pour créer ce cadre était le rôle de notre étude menée au titre de la coopération franco-brésilienne initiée via le projet d’appui au développement des partenariats public-privé au sein des municipalités brésiliennes.

À quoi sert ce cadre de régulation des partenariats publics-privés (PPP) en matière de gestion des déchets ?

James Miralves – Pour un PPP, mobiliser l’investissement privé ne veut pas dire privatisation : il s’agit d’une délégation du service public de la gestion des déchets. Autrement dit, le service reste encadré par l’autorité publique. Or cela nécessite des règles, un cadre.

Le schéma que nous proposons permet de clarifier les rôles entre le déléguant (la municipalité), le prestataire de services (à qui est délégué la gestion des déchets) et l’agence de régulation. Plus précisément, la municipalité est chargée de définir le projet, de mener la consultation, de choisir le prestataire et de suivre la mise en œuvre du contrat par le prestataire sélectionné. L’agence de régulation vérifie le respect des procédures et l’atteinte des objectifs fixés dans le contrat, grâce notamment à des indicateurs de performance que le prestataire doit atteindre.
 

Apporter une vision entrepreneuriale dans le service public de la gestion des déchets


Cette organisation permet aussi d’apporter une vision entrepreneuriale dans le service public de gestion des déchets, dans le but d’attirer les investissements privés. La régulation doit trouver un équilibre entre l’intérêt économique des entreprises, qui doivent être certaines d’être rémunérées, et l’intérêt général, notamment en ne basculant pas tous les risques sur les municipalités. C’est cette vision du gouvernement que nous avons essayé de matérialiser. Nous avons d’ailleurs travaillé dans un climat constructif avec nos interlocuteurs au niveau fédéral, qui se sentent très concernés par la gestion des déchets.

L’étude a mobilisé de l’expertise française en matière de gestion des déchets. Quel intérêt cela a-t-il eu ?

James Miralves – Au début de l’étude, nous avons constaté une différence entre la France et le Brésil en matière de vision et de pratique de la régulation. En France, les contrats de PPP définissent précisément les règles de la prestation (performance attendue, rémunération de l’opérateur, clause de révision tarifaire, sanctions…) et l’autorité de régulation vérifie leur respect via les indicateurs. Au Brésil, les contrats sont moins précis et, par conséquent, l’agence de régulation s’implique plus dans la gestion et le contrôle des prestations au jour le jour – ce qui n’est pas toujours efficace.
 

Mieux comprendre la délégation de service public « à la française »


La visite d’études organisée en France en mars 2019 a permis de créer un consensus sur le rôle de la régulation. Pendant cette visite d’une semaine à Paris et dans les Alpes Maritimes, la délégation brésilienne a pu échanger avec des acteurs publics chargés de réguler ou de superviser la gestion des déchets, ce qui leur a permis de mieux comprendre la délégation de service public « à la française ». La délégation a aussi pu rencontrer des entreprises à qui est actuellement déléguée la gestion des déchets en France. Cela lui a permis de mieux comprendre leurs attentes et de constater leur savoir-faire en visitant des infrastructures de traitement des déchets.

Cela suffira-t-il à améliorer la gestion des déchets au Brésil ?

James Miralves – En mobilisant l’investissement privé dans des conditions contractuelles bien définies, des progrès significatifs peuvent être faits assez rapidement. Bien sûr, la régulation ne résoudra pas tout. De nombreuses municipalités sont confrontées à un manque d’expertise juridique et technique pour évaluer la faisabilité d’un projet de PPP : cela pose la question du renforcement de leurs compétences, car le domaine est complexe. Il y a aussi la question de la rémunération des opérateurs chargés de la gestion des déchets. Ici, notre suggestion est de mettre en place une relation directe entre le citoyen et l’entreprise, pour que celle-ci soit rémunérée via le paiement d’une redevance, sans dépendre du budget de la municipalité.
 

Nos recommandations seront testées sur un projet pilote


Présentées lors d’un séminaire début mars 2020, nos recommandations seront testées sur un projet pilote : en parallèle de notre étude, le gouvernement brésilien a lancé une procédure d’assistance à des collectivités, en finançant les études préliminaires de 5 « projets pilotes » de PPP de gestion des déchets (ce qui inclut un appui sur la rédaction des documents de consultation). Cela va aboutir à la sélection et au développement d’un projet pilote qui permettra de voir si les solutions que nous proposons sont adaptées aux besoins des municipalités au Brésil.

 

Ingénieur des Mines, spécialisé dans les services environnementaux depuis plus de 25 ans, James Miralves a exercé de nombreuses responsabilités au sein de Veolia. Parti au Brésil diriger une filiale de Veolia, il y restera finalement plus de 12 ans, et se spécialisera dans le développement de projets de valorisation des déchets.

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