Renforcer la lutte contre le trafic de biens culturels : quatre pistes à explorer

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France

Le 13 novembre, à l’occasion du Forum de Paris sur la Paix, cinq spécialistes étaient réunis pour une table ronde consacrée au renforcement des partenariats pour lutter plus efficacement contre le trafic de biens culturels. La discussion a permis d’identifier quatre pistes prioritaires : renforcer la coopération entre services au niveau national, accroître la coordination au niveau international, travailler avec le secteur privé et la société civile, et enfin sensibiliser le grand public.

D’une valeur essentielle pour l’humanité, la question du patrimoine culturel est revenue sur le devant de la scène suite à la destruction de sites tel que les mausolées de Tombouctou en 2012 ou la cité antique de Palmyre en 2015. Cependant, il ne s’agit pas d’un phénomène récent, et, au-delà des destructions intentionnelles, d’autres menaces continuent de peser sur le patrimoine culturel : vols dans les musées ou chez des particuliers, pillage archéologique, copies, catastrophes naturelles…

Ciblé par des réseaux de trafic, c’est par ailleurs un marché lucratif : le commerce illicite d'antiquités et d'œuvres d'art représenterait de 2,5 à 5 milliards d’euros par an et le produit du vol et de la revente de ce patrimoine sert à soutenir des groupes criminels et terroristes. Ainsi, c’est plus de 16 000 biens culturels venant de Syrie qui ont été saisis en Europe depuis l’adoption de la résolution 2347 par le Conseil de sécurité des Nations unies en 2017.

Pour répondre à ces défis tout en prenant en compte la dimension transnationale de ce type de trafic, la communauté internationale s’est mobilisée. Le droit international – avec une première convention dès 1970 – a contribué à poser le cadre juridique dans lequel les Etats s’inscrivent pour protéger les biens culturels. Mais, de plus en plus, il s’agit de dépasser la logique de protection et de restitution des biens culturels pour développer la lutte sur le plan pénal. C’est donc dans l’optique d’identifier des pistes pour renforcer l’efficacité de la lutte contre le trafic illicite de biens culturels que la table ronde du 13 novembre s’est tenue.

Expertise spécifique et nécessaire coordination

Pièces dont la provenance est difficile à identifier, objets parfois minuscules et très facilement transportables… Du point de vue opérationnel, enquêter sur le trafic de biens culturels requiert tout d’abord une expertise spécifique. Au niveau national, la mise en place d’unités de police spécialisées est un atout, a expliqué lors de la table ronde le major Paolo Montorsi, des Carabiniers. Cette force de gendarmerie italienne, qui dispose d’un département spécialisé sur le patrimoine culturel, accompagne par exemple l’Irak dans la formation d’une unité dédiée à ce sujet.

Par ailleurs, les services de police doivent pouvoir s’appuyer sur des outils partagés, tels que des bases de données recensant les objets volés. La base française Treima recense ainsi près de 33 000 dossiers, a rappelé Corinne Chartrelle, ancienne cheffe adjointe de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC). Les 100 000 photos d’objets qui s’y trouvent permettent aux enquêteurs, lors d’une perquisition, de vérifier rapidement si l’objet a été signalé.

L’enquête nécessite également une coopération accrue entre services d’enquête et la collaboration avec d’autres administrations. « Il faut briser les silos au niveau national », explique David Hotte, coordinateur de la facilité CFT/AML de l’Union européenne. Afin de mobiliser une expertise publique diversifiée, les Carabiniers italiens collaborent par exemple avec les ministères italiens de l’Intérieur, de la Défense et de la Culture. Cette coordination est également nécessaire à l’échelle internationale, afin que les actions des différents acteurs mobilisés dans la lutte contre le trafic de biens culturels – Interpol, Unesco, Union européenne… – soient complémentaires.
 

Lire aussi : David Hotte : « Rendre plus opérationnels les mécanismes pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme »

 

Le rôle du secteur privé et de la société civile

Dernier enjeu : mieux travailler avec le secteur privé et la société civile, tout en sensibilisant le grand public. « Tout le monde a une responsabilité », a expliqué Sophie Delepierre, du Conseil international des musées (ICOM). Pour aller plus loin et être plus réactifs, elle a insisté sur le besoin de se connaître, d’échanger et de définir précisément le rôle de chacun. Les professionnels des musées (conservateurs, responsables d’inventaire…), par exemple, jouent déjà un rôle dans la lutte contre le trafic de biens culturels : éthique des acquisitions, élaboration de notice des objets volés et de listes rouges pour faciliter l’identification des objets par les services de police, ou encore formations et mise à disposition d’experts pour l’authentification des objets.

Cette mobilisation du secteur privé et de la société civile sera d’ailleurs une priorité de la Facilité CFT/AML de l’Union européenne, qui intègre la question du trafic de biens culturels au sujet, plus large, de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Lancé en 2019, ce projet mobilisera de l’expertise publique européenne dans le but de renforcer les capacités des Etats partenaires sur l’ensemble de la chaîne pénale (renseignement, police, justice, douanes…). « Dans ce domaine, seule la coopération entre pairs est efficace », a souligné Maria Sanchez, de la direction générale de la coopération internationale et du développement de la Commission européenne (DG DEVCO).
 

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